L'Economie
Entre Covid et accord-cadre

Se relever après un COUP sur la tête

Restauratrice, patron de salle de sport, directrice de musée ou acteurs de l’événementiel disent les conséquences parfois cruelles de la crise sanitaire sur leurs affaires. Ces témoignages le montrent: toutes les plaies ne sont pas encore pansées.
© ARC Jean-Bernard Sieber

Mélanie Wulliens, Audio Light.

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Évelyne Wild.

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© Michel Duperrex

Jean-Pierre Stefanizzi, Fitnewform.

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L’évènementiel, toujours sous perfusion
L’événementiel reste un secteur qui ne perçoit pas encore l’issue de la crise. La période est encore incertaine quant à l’organisation de grands rassemblements. D’innombrables occasions manquées pour l’entreprise Audio Light à Colombier, active dans la sonorisation, l’éclairage et la technique pour des concerts ou toute autre manifestation.

«On s’est retrouvé dès la mi-février 2020 en cessation totale d’activité. On venait de réengager du personnel, mais nous avons dû licencier, confie Christian Michoud qui a lancé Audio Light il y a plus de 30 ans. Il a fallu se séparer d’une partie de notre matériel pour éviter le surendettement.» Et la situation n’a pas connu de grande amélioration depuis lors. En 2021, le chiffre d’affaires de janvier à août n’atteint que 15% de ce qu’il fut en 2019.

Face à une incertitude chronique, les projets restent difficiles à établir pour un organisateur de manifestations. Les propositions tombent souvent à la dernière minute. « On est affaibli, on doit apprendre à travailler au jour le jour, sans avoir de recul, avec des ressources limitées », constate Mélanie Wulliens, co-gérante d’Audio Light.

Toujours suspendus aux décisions politiques pour espérer une reprise sans encombre, les récents allégements de restrictions sanitaires ne font toujours pas la part belle à l’évènementiel. «On n’a aucune projection pour la fin 2021, déplore Mélanie Wulliens. Nous pensions que le pass sanitaire allait aider, mais on doit encore faire face à des annulations.» Dans la crainte de ne plus recevoir d’aides étatiques, les responsables d’Audio Light ont le sentiment d’être oubliés des autorités, mais l’entreprise garde espoir. «C’est un défi que de faire évoluer notre entreprise tout en alliant notre passion avec les besoins du marché», conclut Mme Wulliens.

Une clientèle plus locale au Chaplin’s World
Depuis le début de la crise sanitaire, sept mois durant, aucun visiteur n’a pu déambuler à travers les décors reconstitués des films de Charlie Chaplin à Corsier-sur-Vevey. La fréquentation a baissé de moitié en 2020. Une situation impensable pour un lieu de renommée internationale comme le Chaplin’s World, qui n’avait jamais désempli depuis son ouverture il y a cinq ans et dont 40% de la clientèle vient de l’étranger, selon le chiffre donné par sa directrice, Béatrice de Reyniès. Mais la pandémie a tout de même eu comme effet positif d’attirer de nouveaux curieux venus d’outre Sarine. « En 2021, plus qu’en 2020, on s’aperçoit que les Suisses bougent davantage, constate la directrice. Grâce à notre notoriété déjà bien installée, on voit une forte présence alémanique.»

Pour attirer à nouveau les visiteurs, chaque année est structurée autour d’une exposition temporaire. «L’an dernier, nous avons réussi pendant l’été à mettre en place une expo sur «Le Dictateur», pour le 80e anniversaire de la sortie de ce chef d’œuvre», rappelle la responsable.

Aujourd’hui, Béatrice de Reyniès se réjouit de voir les visiteuses et visiteurs revenir découvrir le Manoir de Ban, dernière demeure du cinéaste. «On retrouve cette année des chiffres d’entrées équivalents à ceux de 2019. Même si la clientèle européenne est de retour, on attend avec impatience les visiteurs d’autres continents.»

La situation autour du Covid reste incertaine, mais la direction du musée demeure optimiste. D’ailleurs, en 2022, Béatrice de Reyniès espère que des archives inédites du film «Le Kid» pourront être présentées à l’occasion du centenaire de cette œuvre, ressuscitant la magie du muet de Chaplin.

Chavornay, le Duo a rouvert tout de suite
À Chavornay existe un café-bar où règne un esprit particulier, insufflé par Évelyne Wild, charismatique patronne de bistrot «à l’ancienne», ce qu’elle revendique et dont elle aime jouer.

Au Duo, on tutoie les clients, mais on vouvoie son personnel, des serveuses qu’elle aime appeler «ses filles» et auxquelles elle peut donner des ordres secs tout en leur témoignant de la tendresse dans la même phrase. C’est là, à deux pas de la gare, dans ce grand village sans vrai centre, qu’Évelyne Wild règne, le mot n’est pas trop fort, sur son petit royaume.

Ainsi va la vie du Duo, lieu de rendez-vous matinal à Chavornay, où se croisent ceux qui partent travailler et ceux qui en reviennent, ouvriers, camionneurs commandant leur premier café, fêtards rentrant de Lausanne, parfois. Ce petit monde-là, parfois rude,
Évelyne Wild l’adore. Ce qu’elle aime moins en revanche, c’est «faire la police». « Toutes ces contraintes, le social pass, le pass sanitaire, le certificat Covid… Je me plie aux règles, je fais ce qu’on me dit de faire, mais j’ai l’impression qu’on embête plus les restaurateurs que les autres. Les aides mettent du temps à arriver et je suis fatiguée de tout ça », grince la future retraitée, qui a dû puiser dans son capital pour tenir le coup et payer charges sociales et frais courants. «J’avais épargné pour les prochaines années, afin de pouvoir profiter un peu de la vie. Là, il y un sacré trou», explique celle qui ne compte pas ses heures et a rouvert dès qu’elle a pu.

Les économies personnelles pour sauver un fitness
Patron du Fitnewform à Orbe, Jean-Pierre Stefanizzi a été durement touché par la pandémie. Et s’il commence enfin à sortir la tête de l’eau, l’introduction du certificat Covid représente un nouveau coup dur.

Ils ne sont qu’une poignée de membres à soulever des poids ou à transpirer sur un tapis de course, en cette fin d’après-midi. «Un mercredi à cette heure-là, on devrait avoir au moins vingt personnes dans la salle», lâche Jean-Pierre Stefanizzi. Pourtant, sous sa casquette toujours vissée sur sa tête, le responsable affiche un visage plus détendu qu’en janvier dernier. Et a même quelque peu retrouvé le sourire.

À l’époque, son fitness avait dû fermer ses portes pour la troisième fois en raison du Covid, et Jean-Pierre Stefanizzi avait perdu un tiers de ses clients. Alors même qu’il venait de déménager dans de nouveaux locaux (rénovés à ses frais) juste avant le début de la pandémie.

«La Confédération a versé 18 % de mon chiffre d’affaires, calculé sur l’année précédente. Mais cela n’a de loin pas compensé mes pertes. Le remboursement de mes clients pour les mois de fermeture n’a, par exemple, pas été pris en compte.»

Si Jean-Pierre Stefanizzi et son fitness ont tenu le choc, c’est principalement grâce aux réserves personnelles du patron.

«J’ai eu la chance d’avoir bien travaillé pendant treize ans et ainsi pu épargner. Mais pratiquement toutes mes économies y ont passé. J’ai aussi pu compter sur une partie de ma clientèle, qui m’a soutenu en renonçant à être remboursée pour les mois de fermeture forcée. Et de pouvoir faire du coaching sportif à domicile.»

Le patron du Fitnewform a vu le nombre de nouveaux abonnements croître depuis la dernière réouverture, mais l’introduction du certificat Covid obligatoire pour se rendre au fitness lui a porté un nouveau coup. «La clientèle qui ne voulait pas être vaccinée a résilié son abonnement», soupire celui dont le fitness compte actuellement 480 membres, contre 700 avant le début de la pandémie. «Mais au moins, on est ouvert et on peut bosser.»