Depuis la crise pétrolière des années 1970, l’approvisionnement en énergie n’a plus jamais autant dominé l’actualité qu’en 2022. La guerre en Ukraine a remis en question la disponibilité des différentes sources – pétrole, gaz ou électricité. Toute l’Europe a dû se préparer à l’éventualité d’un hiver sans gaz russe. En 2021 encore, ce dernier avait représenté 40% de la consommation de gaz du Vieux Continent, et environ 20% en Suisse romande.
Responsable de l’approvisionnement en gaz de la région, Gaznat a sécurisé des capacités supplémentaires de stockage en France, ainsi que des options de livraison. Pour diversifier encore son approvisionnement à plus long terme, le groupe basé à Vevey a conclu un contrat avec le producteur norvégien Equinor. Le réseau de Gaznat est alimenté à partir de plusieurs points d’entrée, le gazoduc Transitgas traversant la Suisse entre l’Allemagne et l’Italie, ainsi que d’importations directes depuis la France à travers trois points.
Des hausses de prix inédites
La situation tendue du côté du gaz a eu un impact direct sur l’électricité. Le courant généré à partir du gaz est actuellement en général le plus cher sur le marché européen, et le système des prix marginaux applique le prix le plus élevé à toute la production. S’y sont ajoutés une production hydraulique faible cet été en raison de la sécheresse, et un parc de centrales nucléaires en France dont les quantités produites se sont effondrées à cause de révisions et de grèves.
Cette situation a propulsé les prix à des niveaux inédits, suscitant beaucoup d’inquiétudes tant au sein des entreprises que des consommateurs privés. «Les gens ont pris conscience de la valeur de l’énergie. Les tarifs sont une incitation très forte à changer leurs habitudes. Il y a aussi une ruée vers le photovoltaïque et les rénovations énergétiques, ce qui est très positif», souligne le directeur de l’énergie du canton de Vaud, François Vuille. D’autant plus que selon les statistiques suisses, le canton a du retard dans le développement du solaire.
Par rapport aux pics sur les marchés européens de cet été, les prix sont toutefois redescendus à des niveaux plus raisonnables. Pour le gaz, le prix spot TTF sur le marché d’Amsterdam, la référence en Europe, s’est situé début novembre à 112 euros le mégawattheure, contre un maximum de 350 euros il y a quelques mois. Du côté de l’électricité, alors que le mégawattheure avait franchi la barre des 1000 euros en août, il se trouve à 160 euros en novembre, selon EPEX spot.
En 2021, l’hydraulique (62%) et le nucléaire (29%) ont couvert la majeure partie des besoins suisses en électricité. Toutefois, cette production est mal répartie : en été, la Suisse exporte sa production excédentaire, tandis qu’en hiver, elle doit importer l’électricité qui manque, principalement d’Allemagne et de France.
Les mesures de la Confédération pour combattre la pénurie
La Confédération poursuit plusieurs stratégies pour limiter le danger d’une pénurie d’énergie, en plus de la campagne visant à réduire la consommation. Elle a élaboré des plans pour constituer des réserves en gaz comme dans le domaine de l’hydroélectricité, qui devraient nous permettre de traverser l’hiver 2022/23. Son approche passe aussi par la construction et activation temporaire de centrales générant de l’électricité à partir de sources fossiles. Mais la saison froide de l’année d’après risque d’être encore plus difficile, a déjà averti dans les médias le directeur de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) Benoît Revaz.
«Berne devrait décréter que les plans d’affectation éoliens entrés en force valent autorisation de construire.»
Christian Tinguely, directeur de VO énergies
Berne va peut-être aussi atténuer les conséquences de la hausse de prix pour les entreprises: avec l’ouverture partielle du marché, les sociétés qui utilisent plus de 100 mégawattheures (MWh) par année (soit environ vingt fois les besoins d’un ménage) peuvent décider de s’approvisionner sur le marché libre. Sans toutefois avoir la possibilité de revenir sur le marché régulé. Une levée de cette interdiction est actuellement en discussion.
Le Parlement souhaite également accélérer les procédures d’autorisation pour les installations de production d’énergies renouvelables, que ce soit pour le photovoltaïque, l’éolien ou l’hydraulique. Actuellement, «il faut 25 ans pour un parc éolien et 20 ans pour une centrale mini-hydraulique de 2 GWh. Ce ne sont pas les moyens financiers qui manquent», déplore Guillaume Fuchs, directeur de l’unité Énergie de Romande Énergie.
Le gaz: un cinquième du mix énergétique vaudois
Qu’en est-il de la situation actuelle en matière d’énergie dans le canton de Vaud? Déjà avant la pandémie et la guerre en Ukraine, la consommation totale avait tendance à légèrement baisser depuis le pic de 2010. Elle a atteint un nouveau plancher en 2020 en raison des mesures sanitaires. Mesurée par habitant, elle est en diminution depuis le tournant du millénaire.
En ce qui concerne la répartition entre les différentes sources, le gaz a pris de l’ampleur depuis 1996 et représente désormais environ un cinquième (moyenne suisse: 16%), essentiellement au détriment du mazout (15%). Quant aux carburants qui alimentent les transports, ils ont représenté 28% en 2019, avant la pandémie. La part de l’électricité est à un quart environ.
Enfin, les sources alternatives (bois, chaleur à distance, déchets, thermique renouvelable) sont un peu moins répandues dans le canton (13%) qu’en Suisse (15%). Toutefois, pour François Vuille, «ces différences ne sont pas forcément significatives. L’évolution du mix énergétique résulte de spécificités géographiques et socio-économiques», relève le directeur de l’énergie du Canton de Vaud.
Pour éviter une pénurie, le Grand Conseil a adopté en novembre deux décrets urgents pour réduire l’éclairage, ainsi que pour encourager les entreprises à forte consommation à prendre les mesures organisationnelles leur permettant de faire face à des restrictions. En outre, la conseillère d’État en charge du dossier, Isabelle Moret, invite à repenser la manière dont l’énergie est consommée, et à améliorer l’efficacité.
Le potentiel éolien le plus important de Suisse
Depuis près d’une décennie, le canton de Vaud s’est doté d’une stratégie dans le domaine de l’énergie, intitulée «Conception cantonale de l’énergie», dont la dernière version date de 2019. Ce document met en évidence l’énorme potentiel du côté des éoliennes, le plus important de Suisse, comme en atteste aussi l’Ofen. Les parcs prévus pourraient couvrir environ un quart de la consommation d’électricité actuelle du canton. Mais à ce jour, pas une seule éolienne n’est en service, malgré 19 projets de parcs recensés par l’État, dont une douzaine intégrés à la planification.
Seul celui de Sainte-Croix est actuellement en construction. «Les six fondations ont été coulées, pour une mise en service au cours de l’automne 2023», se réjouit Guillaume Fuchs. D’autres auraient pourtant franchi eux aussi l’obstacle du Tribunal fédéral (TF). «Les Chambres fédérales devraient décréter que les plans d’affectation éoliens entrés en force valent autorisation de construire», suggère le directeur général de VO énergies, Christian Tinguely.
Accroître les capacités de stockage est inévitable
Le solaire et l’éolien ne produisent toutefois pas forcément plus d’électricité lorsque la consommation est la plus élevée. Le développement de solutions de stockage permet de remettre en accord l’offre et la demande et de stabiliser le réseau. Les consommateurs doivent participer à ce rééquilibrage en changeant leur comportement. Car «le stockage engendre des pertes d’énergie. Mais ce n’est pas parce qu’on souhaite éviter le stockage qu’il est possible de s’en passer», insiste François Vuille.