Energie: le coup de fouet
Emulation et Mobilisation

Pour gagner le PARI DE LA TRANSITION, la SEFA s’inspire du courage de ses fondateurs

Alors que la globalisation est un marqueur de l’économie, la SEFA (Société électrique des forces de l’Aubonne) cultive son indépendance pour alimenter son réseau formé de plus d’une vingtaine de communes.
ARC Jean-Bernard Sieber

Laurent Balsiger, directeur de la SEFA: «Il faut aller vite, lancer tous les projets en parallèle si nous voulons être prêts à l’horizon 2050».

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La SEFA construit pour son personnel un couvert à vélos doté de vestiaires, dont le toit est recouvert de panneaux photovoltaïques.

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Petite, mais costaude. Voilà comment pourrait se présenter la Société électrique des forces de l’Aubonne (SEFA). Elle pourrait ajouter dynamique, en guise d’atout complémentaire, tant cette entreprise «historique» de la Côte a su se transformer, elle qui avait été fondée pour faire rouler un tramway reliant Allaman à Aubonne, puis à Gimel en turbinant les eaux de l’Aubonne pour produire l’électricité nécessaire.

Une image d’Epinal en quelque sorte, mais désormais rattrapée par le même souci que les géants de la branche, eux qui cherchent tous des moyens (si possible nouveaux) pour assurer leur alimentation en énergie. C’est le cas de la SEFA, qui multiplie les pistes pour y arriver, impliquant même les citoyens en dopant leurs idées; par exemple avec la création du Prix de la transition ou en mettant à leur disposition un réseau performant de vélos en libre-service.

A la tête de cette entreprise atypique qui fait la fierté de sa région, l’ancien «Monsieur Energie» du Canton de Vaud. Laurent Balsiger se dit heureux d’avoir retrouvé une activité de terrain entouré de partenaires très réceptifs. «Je ne suis pas originaire de ce district, mais j’y ai trouvé à la fois une forme d’indépendance, d’entrepreneuriat et de solidarité des gens.

Ils n’ont pas peur de se lancer dans des projets, font valoir leur savoir-faire dans de nombreux domaines, à l’image de nos aïeux qui ont relevé le défi du tram en 1894, dans des conditions techniques et financières forcément bien plus rudes que de nos jours.»

Vu sa taille (85 collaborateurs pour 9000 clients environ), la SEFA aurait pu se faire «manger» depuis longtemps par un concurrent plus gros qu’elle, mais ce n’est vraiment pas le style de la maison, également active dans la distribution du chauffage à distance, du gaz naturel, de solutions en matière d’installations électriques et photovoltaïques, de mobilité électrique, de téléphonie, multimédia et domotique, en plus d’une activité de transports, notamment scolaires.

Avoir de nombreuses cordes à son arc, voilà le mantra de Laurent Balsiger, qui n’oppose pas une énergie – renouvelable – à une autre. «Dès que l’on sort du fossile, les planifications sont plus délicates et aléatoires, comme on a pu le voir avec l’abandon du projet de géothermie à Lavey-les-Bains, alors même que tous les voyants étaient au vert. La question est avant tout celle de la cohérence, et la crise liée à la guerre en Ukraine pose la question de l’approvisionnement local et durable. Si l’on est d’accord avec le principe, mais que l’on s’oppose à l’éolien ou aux panneaux solaires du voisin, alors on va forcément dans le mur.»

Plus qu’une transition, une révolution

C’est notamment pour cette raison que, loin de s’en tenir à son activité de production de courant électrique (un barrage et deux centrales en aval), l’entreprise s’implique dans de nombreux projets. Des projets parfois contestés, comme les éoliennes envisagées à Bière, au pied du Jura, ou le chauffage à distance qui a peiné à convaincre, mais dont la cote remonte en flèche depuis que la pénurie menace. «Il convient d’arrêter de parler de transition énergétique mais de révolution, assène Laurent Balsiger.

 

Nous devons tout essayer, tout mettre en œuvre pour ne pas dépendre des autres, ou alors ne pas en dépendre à une hauteur qui mette en danger notre approvisionnement. Je crois beaucoup à la géothermie, dont nous poursuivons l’exploration du côté de Vinzel, désormais avec nos partenaires d’EnergeÔ. Nous avons un potentiel qui reste encore énorme au niveau du solaire, avec de nouvelles technologies qui apparaissent régulièrement. Il faut également des mesures fortes au niveau politique, comme l’interdiction des chauffages électriques ou, progressivement, des chauffages à énergies fossiles. Mais la population a aussi un rôle à jouer en faisant des économies, ce qui suggère un changement de comportement. Il semble toutefois se réaliser, avec les diverses actions regroupées au nom de la sobriété, un mot qu’on découvre depuis peu.»

La SEFA, dans ses locaux, n’a d’ailleurs pas attendu les recommandations étatiques pour montrer l’exemple et le faire savoir. «Nous avons coupé l’eau chaude dans nos locaux, là où c’est possible, réduit la température et éteint les enseignes lumineuses. En parallèle, nous construisons un couvert à vélos – avec des vestiaires pour se changer –, dont le toit est « tapissé » de divers panneaux solaires, ce qui présente le double avantage d’inciter nos collaborateurs à se rendre au travail à bicyclette, et à montrer à nos partenaires et clients des réalisations simples et concrètes, qu’il est possible de reproduire ailleurs.»

Accompagner les grands consommateurs

Un rôle de moteur, mais aussi d’assistance, l’entreprise n’ayant pas prévu de «couper le jus» à ses clients grands consommateurs sur un simple SMS. «Nous les accompagnons depuis des mois pour trouver les meilleures formules si une situation aussi critique devait survenir. Ce rôle de conseil est primordial et il témoigne de l’importance, pour un fournisseur d’énergie, de travailler étroitement avec le tissu économique.

Et la SEFA de s’engager dès demain sur la valorisation du bois des forêts voisines sous forme de pellets, pour les mini-réseaux électriques ou en faveur d’une centrale à hydrogène, dont le potentiel semble très intéressant. «Certains me disent parfois de lever le pied, que le rythme est un peu élevé pour une entreprise de notre taille. Je peux les comprendre. Mais l’urgence de la situation fait que nous n’avons pas le choix, qu’il n’est pas possible de réaliser les projets les uns après les autres, surtout qu’avec les procédures et les oppositions, nous ne maîtrisons pas le calendrier. J’en reviens à l’idée de révolution, laquelle implique d’aller vite et de tout lancer en parallèle si nous voulons être au rendez-vous sans encombre à l’horizon 2050», avance Laurent Balsiger.

Le chef d’entreprise se veut tout de même optimiste et philosophe. «Les générations passées ont effectué des choix forts, comme la construction de l’autoroute, qui impliquent des nuisances importantes, ou la mise en place de lignes électriques, qui ne sont pas vraiment agréables à l’œil. Il faut y repenser quand on parle de quelques éoliennes et de leur impact sur le paysage, l’important n’étant pas d’être totalement autonomes à terme, mais d’être le moins dépendants possible des autres et du marché international en particulier, ce que nous rappelle brutalement la situation de prix élevé et de pénuries que nous vivons aujourd’hui.»