«Penser à vieillir chez soi». Ce qui est devenu le mantra des politiques publiques en Europe du Nord ou au Canada gagne la Suisse à pas de géant. Si l’on compte déjà 69 sites de logements adaptés avec accompagnement (LADAS), de nouvelles initiatives fleurissent, tâtant le terrain, sondant les âmes et les besoins.
Le projet pilote de visites à domicile pour les seniors, mené par Christine Panchaud dans la région du Balcon du Jura et inspiré notamment du modèle danois, en témoigne. Cette chercheuse indépendante, qui a multiplié les expériences auprès de populations vulnérables, insiste: «Il faut d’abord écouter les gens avant de réfléchir à des solutions adaptées et créatives».
Ici, les «gens» correspondent à la population des seniors d’un bassin naturel qui s’étend de Bullet à Auberson en passant par Sainte-Croix, un territoire assez dispersé, peu doté en transports publics et dont le revenu moyen est globalement en dessous de la moyenne vaudoise. En 2020, les 65 ans et plus y représentaient presque 26%, dont 7% avaient plus de 80 ans. Le projet s’adresse à une population «majoritairement vieillissante, mais qui vit chez elle de façon autonome»: il doit permettre d’identifier ses ressources, ses compétences et ses besoins.
A la question «C’est quoi, bien vivre à la maison, pour vous?», le panel de personnes âgées interrogées au printemps fournit de précieux renseignements. Si les soins de santé ne manquent pas dans la région, les besoins exprimés sont d’une autre nature. Ce qu’ils veulent? «Pouvoir se déplacer plus facilement (pour autre chose que les soins médicaux), être autonomes chez eux (jardinage, cuisine) mais, surtout, avoir des relations qui ont du sens!»
Habiter chez soi, c’est s’ouvrir sur l’extérieur
«L’habitat est indissociable de l’environnement et une autonomie n’a de sens que si elle est heureuse. Ici, il faudrait plus de transports, des activités de loisirs plus diversifiées et faciles d’accès», analyse la chercheuse. C’est au printemps prochain que les visites, conçues comme des conversations à domicile et sollicitées par les personnes seniors elles-mêmes, permettront une orientation vers des prestations existantes. Il s’agira de travailler en parallèle avec les ressources présentes sur le territoire pour les améliorer et les compléter, notamment par la création d’un réseau d’entraide bénévole de proximité. «Santé, lien social, transports, architecture, mais aussi spiritualité, loisirs, sports: il nous faut aborder les choses de manière individualisée, globale et… humaine.»
L’environnement, c’est aussi ce qui intéresse Isabel Margot-Cattin, ergothérapeute et professeure associée à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne (HETSL), à l’origine de la recherche participative DemSCAPE, menée à Bussigny et Yverdon.
En interrogeant des seniors, avec et sans démence, puis en se déplaçant avec eux dans leur environnement, le but est de mieux comprendre comment diminuer les obstacles qu’ils rencontrent au quotidien. «Cela concerne autant le mobilier urbain ou les cheminements que des réflexions sur le corps et les automatismes à acquérir ou réapprendre…». Des regards croisés sur ce qui fait un cadre de vie, un milieu, comme en témoignent les partenaires de l’étude: des ingénieurs de la HEIG, des designeurs de l’ECAL, des professionnels de santé ou encore l’association Alzheimer Vaud. Inspiré d’un programme canadien, ce projet de mobilité communautaire entend nous faire réfléchir à la manière dont on construit nos villes, car «vieillir à domicile, même avec une santé physique ou mentale amoindrie, c’est aussi sortir de chez soi…» Si l’étude a déjà commencé, les premières données arriveront en septembre prochain et permettront de proposer diverses recommandations à l’attention des communes partenaires et, Isabel Margot-Cattin l’espère, de répliquer le projet ailleurs.
Adapter son logement gratuitement
Déjà expérimenté à Lausanne, le projet «Vieillir chez soi» en collaboration avec Pro Senectute Vaud est en train de se développer à Morges et Gland. S’adressant aux seniors dont la mobilité est réduite, il permet notamment de financer des adaptations de logement. Isabelle Money, municipale à Gland, témoigne: «Sur 14'500 habitants, notre ville compte 1900 personnes de 65 ans et plus. Nous trouvions logique et souhaitable de soutenir ce projet qui s’adresse aux locataires seniors». Démarré en septembre 2022 pour une durée de quatre ans, il bénéficie notamment du soutien de Retraites populaires en tant que bailleur de biens.
«Actuellement, 25 appartements ont été adaptés – la salle de bain est généralement le cœur du problème et l’installation de baignoires à portes reste un incontournable –, et trois parties communes ont été dotées de mains courantes et de rampes.» Outre cet aspect très concret, la mission du projet est de renforcer les solidarités de proximité à l’échelle des bâtiments et des quartiers, de «rallier à cette cause de jeunes voisins, de les rendre attentifs». En prévision également: la mise sur pied de visites sociales à domicile, pour garder un lien avec les personnes âgées.