Pour les enseignants du primaire, il n’est pas toujours facile de «faire avec» le schéma directeur de 2005 qui fixe le cadre de l’enseignement numérique durant la scolarité obligatoire. Si le parc numérique total compte environ 22000 appareils, cela ne représente jamais que trois ordinateurs par classe dans le primaire et un pour huit élèves dans le secondaire. Certains établissements disposent d’une salle d’informatique qui offre entre 12 et 24 postes, d’autres d’un chariot mobile avec des ordinateurs portables. «Dans un cas comme dans l’autre, les enseignants doivent anticiper et réserver la salle ou le chariot mobile à l’avance s’ils veulent pouvoir les utiliser quand ils en auront besoin», souligne Serge Martin.
À cette difficulté organisationnelle s’en ajoutent d’autres. L’ordinateur sur lequel l’enseignant prépare ses cours est personnel, mais les ordinateurs destinés aux élèves appartiennent au canton et les écrans d’affichage et l’installation du wifi sont du ressort des communes. «L’éclatement d’un établissement scolaire en plusieurs bâtiments complique aussi la tâche des communes, tout comme les vieux bâtiments. La situation peut donc se présenter de manière hétérogène d’une commune à l’autre».
Les MITIC
«Pour le gouvernement vaudois, donner aux élèves les outils appropriés permettant de favoriser le développement de l’esprit et de l’indépendance critique face aux médias et aux avancées technologiques constitue un enjeu majeur dans notre société numérique. L’éducation aux médias, ainsi que les productions de réalisations médiatiques, font partie du projet global de formation de l’élève», rappelle Serge Martin. Commun aux six cantons romands, un programme scolaire (le PER) comportant l’éducation aux MITIC (Médias, images et technologies de l’information et de la communication) a été introduit progressivement entre 2011 et 2014. Il prévoit que l’enseignement aux MITIC soit dispensé en situation, dans toutes les disciplines, tout au long de la scolarité obligatoire. «L’ordinateur est présent comme outil favorisant les apprentissages notamment dans le domaine des langues étrangères, dès la 5e pour l’allemand et dès la 7e pour l’anglais. Un site romand, auquel les élèves ont accès grâce à un code, leur permet par exemple de réviser du vocabulaire ou de faire des exercices. Cela peut être conçu comme un prolongement du cours ». Idéale en théorie, cette possibilité nécessite un nombre plus important d’ordinateurs par classe.
Densifier le parc digital
Pour pouvoir se développer et atteindre ses objectifs, l’enseignement du numérique nécessite donc une densification du parc digital. «Il faut rapprocher les ordinateurs des classes. La mise à disposition d’un chariot contenant des ordinateurs, des tablettes, un robot et une imprimante par classe est actuellement à l’étude, de manière à ce que les enseignants puissent les avoir en libre accès pour des activités de recherche individuelle ou en groupe». Viser un ordinateur par enfant serait contreproductif. «Des expériences pilotes de ce type ont été menées en France, mais elles concluent que les élèves ne s’améliorent pas forcément sur le plan scolaire. On a même pu constater que, dans certaines conditions, le niveau baisse. Si ça ne marche pas automatiquement, c’est parce que sans projet pédagogique, l’ordinateur n’est rien. L’enseignement doit rester basé sur l’interaction entre des êtres humains».
Le pilier, jusqu’à présent manquant dans le PER, est lié à la science informatique, à la pensée computationnelle, avec de la robotique et de la programmation. «Il s’agit principalement de faire comprendre aux élèves la manière dont pense un ordinateur, comment ça marche.» Pour mettre sur pied cet aspect du programme, une quarantaine de personnes issues de tout le département travaille actuellement avec le concours de l’EPFL et de l’UNIL. «Nous avons envoyé un questionnaire à tous les établissements du Canton pour dresser un état des lieux. Le taux de retour a été élevé. On observe une forte adhésion des directions au projet pédagogique de virage numérique», se réjouit Serge Martin.
Dès le cycle 1
Suite au questionnaire, dix établissements ont été sélectionnés pour explorer ce nouveau programme et une formation a été mise au point pour les enseignants. «Apprendre comment pense un ordinateur, de manière à ce qu’il ne reste pas un objet magique, doit être mis en place dès le début, c’est-à-dire au cours du cycle 1 (4-8 ans). Pas forcément besoin d’un ordinateur. Un robot suffit à démontrer que l’être humain est et reste le maître». Durant cette phase pilote, il s’agira aussi de renforcer la formation du corps enseignant (formation initiale et continue), former des personnes ressources à même de conseiller et d’épauler le personnel enseignant, soutenir la mutualisation des ressources d’enseignement et d’apprentissage ainsi que l’innovation pédagogique, favoriser le développement de projets interdisciplinaires, développer la recherche et, bien sûr, former les élèves en créant un environnement d’apprentissage propice s’appuyant sur les technologies numériques et les réseaux.
Tous les aspects ne sont pas réglés, comme la place qui sera réservée au numérique dans l’horaire ou si l’informatique sera enseignée comme discipline en elle-même ou intégrée dans les autres cours.» Nous aurons besoin de cette phase pilote pour trouver le bon équilibre». La tâche est d’envergure, mais une chose est sûre : depuis l’été dernier, la volonté d’ouvrir le chantier de l’éducation au numérique est claire. «Les vents sont d’autant plus favorables que le Conseil d’État a placé le numérique comme priorité. Et c’est un progrès manifeste».