Patrimoine vaudois
L'héritage du XXe siècle

La Villa Karma, un fleuron de l’architecture à vendre

Depuis dix ans, la villa dessinée par l’architecte Adolf Loos est à vendre pour 49 millions de francs. Agent immobilier à Montreux, Charles Howard Morgen raconte l’histoire d’une maison qui cherche depuis dix ans un nouveau maître.
BARNES Suisse

Chef-d’œuvre d’architecture moderne, la villa est située sur le territoire de la commune de Montreux et offre une large vue sur le Léman et les Dents-du-Midi.

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L’architecte Adolf Loos a travaillé sur la décoration intérieure de la villa, et en particulier de la salle de bains principale, en marbre noir de Saint-Triphon.

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Le «Hall circulaire», pièce classée et protégée.

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Si l’on devine à peine son toit depuis la route, la Villa Karma se présente comme un objet intriguant lorsqu’on la découvre depuis le lac. Sa façade en impose. Et sa blancheur, malgré les années, est presque aveuglante. Même si elle ne laisse personne indifférent, beaucoup ignorent que la Villa Karma appartient aux chefs-d’œuvre de l’architecture moderne, ce qui vaut d’être inscrit en note 1 à l’inventaire cantonal depuis 1974, et de vivre dans le voisinage d’autres fleurons du patrimoine vaudois, comme le château du Châtelard, le Montreux Palace ou encore la plupart des villas Dubochet (1874-1876).

Située à Montreux, la Villa Karma est l’œuvre de trois architectes qui se sont succédé de 1903 à 1912 (lire encadré). Longtemps, la maison fut soigneusement bichonnée par ses propriétaires. Jusqu’au jour où un héritier s’en désintéressa pour aller vivre à l’étranger…  «Je ne sais pas depuis combien de temps, dix ans certainement, peut-être même vingt ans, que la maison n’est plus habitée», explique Charles Howard Morgen.

Port et héliport
Courtier chez Barnes, il parle avec passion de cette maison qu’il connaît par cœur. Et pour cause. La Villa Karma est en vente depuis dix ans, pour la coquette somme de 49 millions de francs.
Il faut reconnaître que l’objet est exceptionnel à bien des égards. Située sur une parcelle de quelque 10’000 m2, la propriété a pour ainsi dire les pieds dans les eaux et offre une large vue sur le Léman et les Dents du Midi en toile de fond. La maison compte environ 1500 m² habitable, chaque pièce se distinguant par la beauté des matériaux comme le marbre noir et blanc, le marbre rose, les tuiles dorées, sans parler des bois précieux, des mosaïques dorées, des bronzes et des pavements de pierre. Pour certains spécialistes, cet intérieur voulu par Adolf Loos est un des chefs-d’œuvre du style viennois. La propriété offre encore quelques petits luxes accessoires, tels que deux grandes piscines (intérieure et extérieure), un port et un héliport privés.

 

Robinets en argent massif
«Comme elle n’a été que peu entretenue toutes ces années, la maison n’est pas habitable, souligne Charles Howard Morgen. Mais la Villa Karma est un véritable bijou. Un diamant à l’état brut que son futur propriétaire devra tailler à sa mesure.» Même si certaines pièces sont classées et protégées – comme le hall circulaire ou la salle de bain Cléopâtre avec ses grosses colonnes en marbre noir et la robinetterie en argent massif –, il reste des volumes énormes que le futur maître des lieux pourra transformer à sa guise (sous réserve, bien sûr, de l’accord du conservateur cantonal des monuments et sites), notamment une grande partie du premier étage.

Pour Charles Howard Morgen, la personne qui voudra se lancer dans cet achat aura envie également d’y associer son sort: «S’il est clair que son inscription sur la liste des biens culturels d’importance nationale est une contrainte, cela constitue aussi une chance unique de partager son destin avec une demeure historique. Plus que l’achat d’une simple maison, c’est un véritable projet de vie, un coup de cœur!»

Coup de foudre imminent
Des clients capables de débourser 49 millions de francs, puis d’investir encore quelques dizaines de millions pour la rénovation d’une demeure tout en débloquant les autorisations nécessaires à ce genre de travaux ne sont pas légion. «Je suis persuadé que cela se jouera sur un coup de foudre. Celui qui en tombera amoureux comprendra immédiatement son potentiel énorme, mais aussi et surtout sa dimension artistique, son côté décalé pour ne pas dire déjanté. Cela peut être un particulier, mais tout aussi bien une entreprise ou une fondation – dont l’image serait en adéquation avec celle de la demeure dessinée par Adolf Loos – qui voudrait y installer son siège.»

Consciente que ce bien un peu étrange ne se vendrait pas de la même manière qu’une villa plus classique, l’agence Barnes a produit un film dont les images et la bande-son traduisent parfaitement un luxe d’un autre âge baignant dans une atmosphère intrigante et romanesque. Le ciel est nuageux, noir, le coup de foudre est imminent…

 

Un sacré chantier

En 1903, le docteur Theodor Beer, professeur de physiologie comparée à l’Université de Vienne, faisait appel à un architecte veveysan, Henri Lavanchy, pour transformer sa villa nommée «La Maladaire», en référence à la léproserie qui existait sur ce site quelques siècles auparavant. Peu après, le propriétaire confia à l’architecte Adolf Loos la transformation en profondeur de sa propriété : aussi bien l’enveloppe extérieure que toute la décoration intérieure.

À l’origine, le bâtiment mesurait environ 14 mètres sur 11. Le plan de Loos prévoyait d’augmenter cette surface tout en l’entourant de quatre tourelles situées aux coins de la structure peinte totalement en blanc. Le toit original fut supprimé pour être remplacé par une terrasse en attique. Adolf Loos travailla également sur la décoration intérieure de la villa. Avec une attention toute particulière pour la salle de bain principale, réalisée entièrement en marbre noir de Saint-Triphon et fermée par des portes en bronze.

Connu pour son rejet de toute espèce d’art ornemental en architecture, l’architecte autrichien construisit notamment pour le poète Tristan Tzara une maison à Paris. Un travail dont on a écrit qu’il résumait sa démarche architecturale: «L’essence de l’architecture moderne n’est pas dans la joliesse des éléments qui composent un bâtiment (il n’y a aucun ornement, aucune fantaisie), mais dans la beauté des formes pures, les rapports que les volumes entretiennent entre eux.»

À la suite d’une dispute avec Theodor Beer, l’architecte autrichien abandonna le chantier, qui, dès 1908, fut repris par l’architecte d’origine croate Hugo Ehrlich. Le chantier fut achevé en 1912.