Patrimoine vaudois
L'héritage du XXe siècle

L’odyssée de la brique Falconnier

Tout le monde l’a déjà vue, mais personne ne la connaît. Il aura fallu la persévérance de quelques architectes et historiens de l’art pour sortir la brique Falconnier des oubliettes et lui rendre un hommage mérité.
ARC - JB Sieber

«En 1886, Gustave Falconnier mit au point la brique de verre soufflé: un produit moderne qui laissait passer la lumière, tout en assurant une excellente isolation, autant phonique que thermique.» explique Aline Jeandrevin, historienne qui lui a consacré un mémoire et une exposition à Nyon.

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Avec un mode de fabrication par soufflage-moulage, totalement nouveau à l’époque, les briques Falconnier offrent une diversité de formes, de lumières et de couleurs.

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Si l’Histoire est parfois ingrate, elle sait aussi se racheter. Ainsi en est-il dans le cas de la brique Falconnier. Après avoir vécu un rayonnement planétaire et déchaîné des passions chez des architectes aussi fameux qu’Auguste Perret et Le Corbusier, la brique en verre translucide et chatoyant était simplement tombée dans l’oubli. Mais c’était sans compter la passion d’une historienne de l’art, Aline Jeandrevin qui non seulement lui a consacré son mémoire de Master, mais lui a également redonné vie à travers une remarquable exposition, en 2018-2019, au château de Nyon. Un endroit qui ne doit rien au hasard puisque l’inventeur de cette brique qui porte son nom et qui a quasiment fait le tour du monde est né en 1845 dans la petite cité vaudoise.

Gustave Falconnier (1845-1913) a démarré sa carrière en allant se former à l’architecture aux Beaux-Arts de Paris, puis de Munich. « Malheureusement, on ne sait pas grand-chose de cette formation allemande si ce n’est qu’elle a peut-être nourri son goût pour l’innovation technique et les matériaux nouveaux », explique Aline Jeandrevin. Sa formation d’architecte achevée, il revient à Nyon où il ouvre rapidement un bureau d’architecte. Il va aussi s’impliquer dans la politique et devenir le préfet de son district pendant près de 35 ans.

Du biberon à la brique
Gustave Falconnier va s’intéresser très tôt à la question du verre. «C’est même la première fois dans l’Histoire qu’un architecte allait s’adresser à des verreries à bouteilles et non pas à celles qui produisaient du verre plat, telles que Saint-Gobain, explique Aline Jeandrevin. Au départ, l’architecte nyonnais commença par inventer… des biberons en verre.» Il comprit rapidement que les corps creux (comme les bouteilles) ont des qualités isolantes. En 1886, il mit au point la brique de verre soufflé: un produit moderne qui laissait passer la lumière, tout en assurant une excellente isolation, autant phonique que thermique.

De surcroît, sa brique était belle. Grâce à ses formes si différentes et surtout à sa transparence qui permettait à la lumière de la traverser, en lui offrant des couleurs ondulantes et chatoyantes. Sans parler de l’aspect technique: «À mi-chemin entre l’artisanat et la production industrielle, son mode de fabrication par soufflage-moulage était totalement nouveau dans le monde de la construction.» Au cours de sa carrière, Gustave Falconnier a déposé au moins quarante brevets d’invention en Europe.

Le fantasme de la transparence
Pour Aline Jeandrevin, son idée était révolutionnaire. Il avait créé un espace intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur: «Ce mur dématérialisé procure une atmosphère totalement atypique. Et il est évident que son travail sur le verre va également nourrir la réflexion des architectes de son époque qui fantasment sur la transparence et la maison de verre – qui sera finalement construite par Bruno Taut en 1914.»

L’invention de Gustave sera primée à l’Exposition universelle de Chicago en 1893 et à celle de Paris en 1900. Il faut dire que ce matériau aux multiples applications est rapidement adopté pour ses qualités pratiques et esthétiques par des architectes de renom, tels que Le Corbusier ou encore Auguste Perret, dont l’iconique bâtiment du 25 bis avenue Franklin à Paris (1903-1905) possède une cage d’escalier monumentale entièrement réalisée en briques Falconnier.

Mais le succès ne dure qu’un temps. Comme elle apparût, la brique translucide disparût tout d’un coup dans le trou noir de l’Histoire: «Cela illustre parfaitement bien la notion de patrimoine, explique Aline Jeandrevin. Les améliorations techniques se succèdent très rapidement vers la fin du XIXe siècle. Tout est en pleine ébullition. L’Art Nouveau tombe rapidement en désuétude et il faut construire vite et beaucoup.

Par conséquent, il a fallu simplifier, rationaliser, économiser.» Autant de termes incompatibles avec la fabrication d’une brique Falconnier qui ne pouvait être produite que de manière artisanale nécessitant une main-d’œuvre très qualifiée: «Ce mode de production en faisait un matériau fragile avec de nombreuses variations d’une pièce à l’autre. Ce qui rendait précisément chaque brique unique et procurait une vibration singulière à ses surfaces de verre et à ses couleurs».