Patrimoine vaudois
L'héritage du XXe siècle

Freiner le vieillissement de la molasse

Depuis toujours, la santé fragile de sa molasse constitue le talon d’Achille de la cathédrale de Lausanne. Président de la commission technique, Yves Golay-Fleurdelys détaille les différents remèdes pour soigner cette pierre au cœur tendre.
ARC - JB Sieber

Yves Golay-Fleurdelys, responsable de la construction durable à la Direction générale des immeubles et du patrimoine: «l’eau est un fléau pour la molasse!».

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Jérémy Bierer

Les travaux se sont concentrés, entre 2012 et 2014, sur la restauration de la toiture de manière à protéger l’ensemble du monument des averses, Vue du chevet depuis la tour lanterne.

Jérémy Bierer

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Jérémy Bierer

«La fragilité extrême de la molasse aquitanienne (ou molasse grise de Lausanne) est connue depuis toujours. Au XIIIe siècle, les bâtisseurs de la cathédrale n’avaient franchement pas d’autre choix que d’utiliser la pierre qu’ils avaient sous la main», explique avec pragmatisme Yves Golay-Fleurdelys, responsable de la construction durable à la Direction générale des immeubles et du patrimoine.

À l’époque où il reprenait la présidence de la commission technique de la cathédrale – qui existe depuis 1898 – les travaux effectués entre 2000 et 2010 avaient suscité une vive polémique. En découvrant les arcs-boutants dont certaines pierres avaient été remplacées, de nombreux Lausannois avaient moyennement apprécié le contraste jugé trop fort entre le neuf et l’ancien. À la suite de quoi, une charte avait été établie, soulignant notamment la nécessité de mieux communiquer avec le public.

Comme le note Yves Golay-Fleurdelys, «il est impossible de raisonner en «vase clos» lorsqu’il s’agit d’objets patrimoniaux, c’est-à-dire d’objets qui font partie du bien commun.»

Entre autres mesures, il y eut également la volonté de partager les différentes expériences d’experts confrontés au même type de pierre. Réunissant des spécialistes suisses et européens - dont ceux œuvrant sur les cathédrales de Fribourg et de Berne – un premier colloque fut organisé en 2012, avec pour thème central la déontologie de la pierre. Parmi les recommandations des experts, la principale fut de distinguer les interventions dites verticales des horizontales.

Un cycle de soixante ans
Tous les travaux de restauration ont toujours été verticaux, soit par fragments autour de la cathédrale. Comme un cycle de restauration est très long, environ soixante ans, jamais personne n’a réussi à faire un tour complet. «Au fil des travaux les ressources humaines et financières s’épuisent et le chantier s’arrête. Une des raisons pour laquelle les parties nord sont les plus dégradées, la tour inachevée n’ayant plus été soignée depuis 150 ans. Pour ralentir le vieillissement de la molasse, nous devons travailler de manière horizontale, sur des thématiques, élément par élément, mais en une seule fois, et en faisant le tour complet de la cathédrale.»

Fort de ces conclusions, les travaux se sont concentrés, entre 2012 et 2014, sur la restauration de la toiture, de manière à protéger l’ensemble du monument des averses, sachant que cette protection ne peut être que partielle.

Un deuxième colloque s’est tenu au mois de janvier de cette année, avec au menu un nouveau thème horizontal : comment éviter le ruissellement néfaste de l’eau de pluie sur la tendre et fragile molasse.
«Il a fallu décortiquer et analyser tous les éléments où l’eau coule de manière inappropriée, parce qu’il n’y a pas de renvois d’eau sur les éléments saillants en pierre, comme par exemple les tablettes de fenêtres protègant la façade située en dessous. L’eau, plutôt que de couler sur un larmier, bave sur la pierre, explique Yves Golay-Fleurdelys. Si on regarde attentivement la façade sud, il y a partout des taches noires qui sont autant de signes d’un vieillissement de la pierre lié à un mauvais écoulement de l’eau.»

Pierres gorgées d’eau
L’eau représente un véritable fléau pour la molasse. Grâce à d’étroites collaborations avec l’EPFL et l’EPFZ, des analyses ont permis de comprendre que l’eau reste emprisonnée dans la pierre, à une profondeur de 40 ou 50 centimètres: «L’eau sèche à l’extérieur, mais les pierres sont gorgées d’eau et vu leur épaisseur, elle ne peut pas en ressortir. Heureusement, sans que cela ne fragilise la statique du monument.»

Fort de ces données accumulées au fil des ans, le dernier colloque a permis de dégager quelques nouvelles pistes. Notamment celle de rajouter sur les façades de petits éléments de ferblanteries, très fins, qui permettent de « canaliser » l’eau et éviter ainsi un ruissellement anarchique. «Nous allons bientôt les tester sur un cycle complet des saisons. Ces essais doivent permettre d’évaluer dans la durée les éventuels effets secondaires. Avant de les installer sur l’ensemble de la cathédrale, nous devons commencer par nous assurer que le remède ne provoque pas des dégâts plus importants que la maladie.»

Le constat est déjà ancien: «La molasse n’est vraiment pas faite pour supporter les averses ni durer. Mais la cathédrale est un monument d’importance nationale et nous nous devons de trouver des solutions.»