Patrimoine vaudois
L'héritage du XXe siècle

La cathédrale, chantier éternel

L’architecte Christophe Amsler suit le chantier de restauration de la cathédrale de Lausanne depuis trente ans. Au fil des ans, il a développé une relation complice avec l’Histoire de cet édifice en molasse qui menace de s’écrouler tous les 75 ans environ.
ARC - JB Sieber

Les travaux de rénovation commencent toujours par la tour-lanterne, peut-être parce que cette tour héroïque est aussi le maillon faible de la cathédrale, précise Christophe Amsler.

ARC - JB Sieber

Jérémy Bierer

La tour-lanterne de la cathédrale de Lausanne.

Jérémy Bierer

La tour du beffroi de la cathédrale de Lausanne.

ARC - JB Sieber
Jérémy Bierer

D’emblée, l’architecte vaudois Christophe Amsler entre dans le vif du sujet: «Quand un édifice de la taille de la cathédrale est construit avec un matériau d’une telle fragilité, le risque est permanent. Et parce que le monument est trop grand, nous avons toujours un temps de retard…». Le matériau que Christophe Amsler pointe ainsi du doigt est bien sûr la molasse, une pierre que l’architecte connaît par cœur. Cela fait trente ans qu’il la côtoie, depuis qu’il est appelé, en 1980, par l’architecte cantonal Jean-Pierre Dresco à travailler sur le chantier de la cathédrale, au moment où la tour-lanterne menaçait de s’écrouler.

«C’est un chantier perpétuel, rappelle Christophe Amsler. Depuis le début, puisque les premiers travaux de restauration ont eu lieu avant même que la construction de la cathédrale ne soit achevée. Le second maître d’œuvre, Jean Cotereel, a dû consolider les parties construites par son prédécesseur dans la première décennie du XIIIe siècle déjà.» Comme tous ceux qui ont eu le privilège de travailler à la conservation de ce monument, l’architecte vaudois a développé une forme de sagesse face à la molasse. «Les maîtres d’œuvre ont employé la pierre qu’ils avaient à disposition, et lorsque les moyens de transport se sont développés et qu’on a voulu la remplacer par une pierre plus dure, d’une tout autre nature, sont apparus des problèmes de rejet. Comme une mauvaise greffe, entre une pierre très chaude et une pierre trop froide. En voulant protéger la molasse, nous avons accéléré sa dégradation. À nous d’être ingénieux aujourd’hui et de développer des stratégies pour ralentir autant que possible le vieillissement et l’effritement de la pierre vernaculaire.»

Travaux constants
Pour Christophe Amsler, l’entretien de l’édifice est soumis à des priorités dictées par le monument lui-même. Historiquement, la conservation de la cathédrale se fait depuis le XIIIe siècle à un rythme constant, mais non continu. Comme une respiration qui alterne des périodes d’intense activité et de sommeil: «Lorsque l’état de la cathédrale est trop dégradé, on lance de gros travaux de restauration qui durent généralement une cinquantaine d’années. Après quoi, on estime avoir fait le travail et on se met au repos. Et on dort, jusqu’à ce que la cathédrale menace à nouveau de s’abîmer. On se remet alors en piste, pour un nouveau tour. Le rythme de ces cycles est pratiquement toujours le même: trois quarts de siècle.»

 

Toujours le même circuit
Cette durée n’est d’ailleurs pas la seule constante à la cathédrale. Lorsque Jean-Pierre Dresco lance l’actuel cycle de restauration à la fin des années 60, le monument est dans un état très altéré. La tour-lanterne menace de s’écrouler. «Cela commence toujours par ce bout, peut-être parce que cette tour héroïque est aussi le maillon faible de la cathédrale», précise Christophe Amsler. Souffrant de défauts de construction congénitaux, et peut-être aussi de la foudre, elle a été restaurée au milieu des années 1870 par Eugène Viollet-le-Duc, qui lui a façonné sa silhouette actuelle: «À un siècle d’écart, nous suivons le même circuit que Viollet-le-Duc, qui est aussi celui des générations précédentes. Depuis le XVIIIe siècle, tous les chantiers ont débuté par la fragile lanterne. On poursuit par le croisillon sud pour se lancer ensuite dans la nef. Et, comme une fatalité, tout s’arrête généralement une fois arrivé à la tour inachevée. Parce que tout le monde est épuisé, financièrement et intellectuellement.»

Cette manière de travailler par à-coups a suscité de vives critiques par le passé. D’aucuns ont demandé un effort plus modeste, mais continu dans la durée. La première fois – en 1767 – ce fut par la voix du colonel Sinner, un commandant d’artillerie mobilisé pour étudier les possibilités d’une restauration financièrement avantageuse: «Maintenant que nous avons remis l’église en état, il faudrait éviter qu’elle ne se dégrade à nouveau. Par conséquent, je demande qu’à l’avenir on l’inspecte régulièrement et qu’on procède à des travaux d’entretien réguliers, qui évitent qu’elle ne s’altère à nouveau trop gravement.»

C’est dans cet esprit que la Commission technique de la cathédrale préconise désormais de passer progressivement à une approche plus horizontale: «Plutôt que de se lancer dans de grands coups d’éclat, mieux vaut être modeste, mais régulier et constant dans l’effort.»