Economie et durabilité
Les défis de 2050

La résurrection de la bouteille de vin LAVABLE

Quatre domaines viticoles ont œuvré à la naissance de «Bottle Back», un projet pilote pour réduire l’empreinte carbone de leurs bouteilles en les réutilisant, plutôt que de les jeter.
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Catherine Cruchon (Echichens), Laura Paccot (Féchy), Lionel Widmer (Echichens) et Philippe Meyer (Morges) sont quatre des huit vignerons à l’origine du retour de la bouteille lavable dans le canton de Vaud.

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ARC Jean-Bernard Sieber

A la Cave de la Crausaz (Féchy), une machine vieille de 40 ans lave entre 1600 et 3000 bouteilles par heure. La Cave la prête à des confrères vignerons et à des microbrasseries.

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L’innovation ne signifie pas forcément de concevoir une idée révolutionnaire ni de mettre sur pied une usine à gaz au destin incertain. C’est ce que l’on peut dire du projet «Bottle Back», qui repose davantage sur le bon sens et la volonté de réduire l’impact environnemental que sur la technologie futuriste.

L’histoire est celle de huit domaines viticoles vaudois qui ont uni leurs forces pour revenir aux bases d’un métier censé être en phase avec la nature: la culture de la vigne. «Il n’y a guère, presque tous les vignerons lavaient leurs bouteilles pour les réutiliser», rappelle Lionel Widmer, de la Cave du Signal, à Echichens. Quelques-uns perpétuent cette tradition qui regagne d’ailleurs en popularité. Mais à l’époque du «tout jetable», qui a pour avantage des coûts plus favorables et une certaine automatisation (mais peu d’égards pour l’impact environnemental), revenir aux méthodes d’antan n’est pas un virage si surprenant. Qui plus est au sein de la nouvelle génération de viticulteurs. «On estime que la production d’une bouteille représente environ 900 grammes de CO2, dont 30% rien que pour le verre», explique Catherine Cruchon, du domaine du même nom basé à Echichens. Laura Paccot, cheffe de file du domaine La Colombe à Féchy, précise: «Le recyclage constitue entre 30 et 60% du bilan carbone d’une exploitation.»

«Souvent, les entrepreneurs tiennent une bonne idée, sont prêts à la développer, mais il manque le petit coup de pouce qui permet de s’y atteler. Il s’agit souvent d’une ressource administrative. Là, l’État peut justement venir en appui de manière subsidiaire.»
Katell Bosser, cheffe de projet Économie durable à l’État de Vaud

À cela s’ajoute la raréfaction du sable, matière première indispensable à la fabrication du verre et dont l’extraction est tant énergivore que polluante: il faut au moins 15% de sable brut pour réaliser des bouteilles recyclées.

Simplifier avec bon sens
Sensible à ces problématiques, l’équipe de «Bottle Back» a décidé de s’engager avec l’objectif à moyen terme de démocratiser son concept. Les huit partenaires développeront leur circuit de bouteilles lavables durant deux ans et ce projet pilote, qui coche toutes les cases de la transition écologique, a bénéficié d’un soutien financier du Service cantonal de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI), à hauteur de 88'000 francs. «Cette somme nous permet principalement d’engager une équipe pour gérer la partie administrative et la communication. Car nous avons déjà tous des agendas relativement chargés», explique Philippe Meyer, du domaine de Marcelin, à Morges. Un problème souvent récurrent aux yeux de Kattel Bosser, cheffe de projet Économie durable au SPEI. «Souvent, les entrepreneurs tiennent une bonne idée, ils sont prêts à la partager et à la développer, mais il manque le petit coup de pouce qui permet de s’y atteler. Il s’agit souvent d’une ressource administrative ou des fonds manquants pour la recherche et le développement, là où l’État peut justement venir en appui de manière subsidiaire.»

Bien qu’il ait fallu résoudre plusieurs défis dans la conception, notamment sur le plan logistique ou pour que les étiquettes puissent facilement être décollées, le fonctionnement du système apparaît simplissime sur le papier. La clientèle peut ramener les cols dans n’importe quel domaine participant; car un modèle de bouteille unique a été spécialement créé pour l’occasion.

Les caisses de «cadavres» sont ensuite envoyées en Valais, où l’entreprise Univerre les nettoie intégralement, puis les renvoie dans les caves vaudoises, où elles seront remplies à nouveau.

«Fondre du verre, c’est 24 heures de chauffe à environ 1600 degrés; laver une bouteille, c’est seulement 20 minutes à 80 degrés. Cela donne une idée de la différence d’énergie nécessaire.»
Catherine Cruchon, viticultrice à Echichens

Bilan environnemental favorable
Le processus requiert donc de l’eau et des transports, ce qui n’est pas neutre sur le plan environnemental. Mais les calculs démontrent que cette alternative reste plus avantageuse que la voie classique, selon Philippe Meyer. «Nous allons optimiser les trajets au maximum, c’est certain. Mais s’agissant du bilan carbone, la bouteille reste le principal problème. Et nous essayons d’y remédier en priorité.» Le fait d’unir leurs forces rendra la différence d’autant plus significative, ajoutent ses collègues. Le potentiel est «considérable», estiment-ils, et «Bottle Back» ambitionne déjà d’élargir son modèle à l’ensemble du pays.

Selon les initiateurs, la bouteille réutilisée génèrerait 85% de gaz à effet de serre en moins que son équivalent à usage unique – cela après «une quinzaine de lavages». Et Catherine Cruchon de se livrer à une nouvelle comparaison: «Fondre du verre, c’est 24 heures de chauffe à environ 1600 degrés; laver une bouteille, c’est seulement 20 minutes à 80 degrés. Cela donne une idée de la différence d’énergie nécessaire.»

Instaurer de nouvelles habitudes
Reste un point d’interrogation: la bonne volonté des consommatrices et consommateurs. Car les contenants lavables ne sont pas consignés. «C’est un pari, reconnaît Laura Paccot. Mais les gens sont éduqués à jeter le verre à un emplacement spécial; nous espérons qu’au lieu de les mettre à la benne, ils prendront l’habitude de déposer les bouteilles vides dans des harasses pour nous le ramener», explique la viticultrice. «L’expérience montre que la consigne fonctionne très bien, mais qu’elle relativement compliquée à instaurer. Notamment pour gérer la restitution de l’argent.» À l’avenir, les huit vigneronnes et vignerons de «Bottle Back» souhaitent multiplier les points de collecte, par exemple dans les déchetteries communales. À noter que le prix de vente de la bouteille remplie restera identique à celui d’un col classique.

Réflexion globale
Outre les enjeux logistiques et écologiques, le groupe estime que de telles initiatives s’inscrivent dans un mouvement plus large. «Notre génération est grandement touchée par le dérèglement climatique et nous nous posons beaucoup de questions sur notre avenir, résume Lionel Widmer. La bouteille, c’est l’un des rares paramètres que l’on pouvait difficilement contrôler jusqu’à présent.»

Sur ce point, la donne a donc changé pour ces quatre viticulteurs de la Côte. Avec leurs collègues du reste du canton, ils tablent sur un total de 40'000 bouteilles lavables pour débuter leur expérience. Au printemps prochain, on saura précisément combien, parmi elles, auront été retournées pour être à nouveau remplies.

Une tradition jamais éteinte

Si le projet «Bottle Back» ambitionne d’instaurer un changement de pratique tant pour les producteurs que pour les consommateurs, plusieurs professionnels de la vigne n’ont jamais cessé de laver leurs bouteilles, ou se sont remis à le faire récemment. Dans le canton de Vaud, on pense à la Cave de la Crausaz, à Féchy, qui s’y adonne depuis plus de huitante ans. La machine utilisée a quarante ans. Elle permet de laver 1600 à 3000 bouteilles par heure, dont quelque 350’000 cols du domaine chaque année. Car la Cave prête aussi son installation à des confrères vignerons et autres microbrasseries, augmentant le total annuel d’environ 600’000 bouteilles supplémentaires. Côté consommation, il faut compter 2500 litres d’eau en circuit fermé, renouvelés régulièrement. Sinon, une clientèle alémanique honore encore la tradition de «ramener les bouteilles» une fois par an aux Domaines des Abbesses d’Echandens, comme par le passé, ce qui donne une teinte sympathique aux portes ouvertes de la famille Perey.