On aurait presque pu croire que la Fête fédérale de gymnastique boudait la Suisse romande. Organisée tous les six ans, elle n’y avait plus mis les pieds depuis 50 ans. Sans parler des terres vaudoises qu’elle n’avait plus foulées depuis 74 ans. Par quel heureux concours de circonstances cet oubli est-il en passe d’être réparé? Comme l’explique Gaël Lasserre, directeur général de la manifestation, ce sont deux ruisseaux qui ont convergé: «D’une part, la politique du Canton de Vaud et de la Ville de Lausanne, qui vise à encourager l’accueil de manifestations sportives. Et qui traduit une véritable volonté de ne pas limiter la Capitale olympique à sa dimension administrative, mais d’en faire un véritable lieu de pratiques sportives.»
Puis, Lausanne a accueilli Gymnaestrada, en 2011: «Ce furent 20'000 gymnastes dans les rues lausannoises pendant quatre jours! L’enthousiasme né de ce succès populaire a permis de libérer des envies qui ont abouti aux Jeux olympiques de la Jeunesse. À cette même période, les membres de la direction de l’Association vaudoise de gymnastique (Gymvaud) se sont demandé si le moment n’était pas venu de porter une candidature, avec en tête l’envie de revivre un événement énorme, en lien avec la magie du sport et sa dimension fédératrice. Du coup, l’étincelle a jailli!»
Les premiers jalons
Lancée en 2015, une étude de faisabilité mettait en concurrence plusieurs communes vaudoises, dont Lausanne, Montreux, Morges, Payerne et Yverdon-les-Bains. Compte tenu des infrastructures sportives déjà existantes, la capitale vaudoise est sortie en tête. À la suite de quoi une candidature soutenue par Gymvaud, le Canton de Vaud et la Ville de Lausanne est déposée en 2017. Et l’année suivante, Lausanne est plébiscitée pour l’organisation de l’édition 2025.
Entré en fonction en été 2021, Gaël Lasserre est en territoire connu, lui qui a participé à l’étude de faisabilité, et, en tant que spectateur, à la précédente édition de la Fête fédérale. Face à un événement d’une telle ampleur, par quoi faut-il commencer? «La première chose a été de dessiner un organigramme. Même s’il peut apparaître comme un document basique, il permet de poser le cadre. Quelles tâches doivent être professionnalisées? Combien de salariés? Le profil des premiers recrutements?»
L’autre priorité était de poser les jalons en termes de calendrier: «En me basant sur mon expérience de secrétaire général adjoint de Gymnaestrada, j’ai pu esquisser une première planification, qui tienne compte des contraintes imposées par la Fédération suisse de gymnastique, tout en déterminant ce que nous voulions organiser et où nous voulions le faire…», explique Gaël Lasserre. À partir de là, nous avons pu commencer à structurer les équipes et procéder aux premiers recrutements. Ensuite, chacun a pu y mettre sa patte et tout s’est enchaîné.
«Tout est hors norme»
Parmi les gros défis rencontrés par les organisateurs, la question du camping tient une place de choix, sachant qu’il doit pouvoir héberger plus de 20'000 personnes. «La Fête fédérale se tient habituellement en rase campagne ou dans un champ en bordure de ville, où la place est illimitée. Or nous avons voulu l’organiser au cœur d’une ville… Si pour les salles de sport cela n’a pas posé de problème, Lausanne étant richement dotée, il n’en a pas été de même pour le camping, pour lequel il fallait un terrain plat et herbeux d’une surface comprise entre 75'000 et 100'000 mètres carrés. Et la commune ne possède plus d’espace de cette taille, qui ne soit pas protégé ou situé sous des lignes à haute tension.» Finalement, après de multiples séances de travail, c’est le terrain de la Bourdonnette, situé sur la commune de Chavannes, qui est choisi.
Pour Gaël Lasserre, le gigantisme est bel et bien le principal défi de la Fête fédérale. On a parlé de la taille du camping. Mais tout est à l’avenant: «Cette manifestation est totalement hors norme. Rien ne s’inscrit dans aucun cadre existant: aucun mode de fonctionnement ou de production n’y est adapté. On est plus grand que tout ce qui existe. Personne ne peut facilement mettre en place une chaîne de production de pain ou mettre à disposition des poubelles pour 65'000 personnes supplémentaires. Personne ne peut en un claquement de doigts fournir des bus, des gradins, de la vaisselle consignée pour autant de monde, sachant qu’une fois l’événement terminé, ils ne pourront pas en refaire usage avant très longtemps. Pour tout, nous avons besoin de solutions uniques, clés en main, qui seront ensuite démantelées pour pouvoir être réutilisées.»
Un savoir-faire vaudois
À l’impossible nul n’est tenu. Et pourtant, Gaël Lasserre affiche un visage calme et souriant: «Je ne sais pas si cela tient à la magie de la Fête ou si la passion est contagieuse, mais chacun de nos partenaires, même si c’est un vrai défi, est pris par cette énergie, et fonce malgré tout en ayant le sentiment d’être embarqué dans une aventure folle et unique.» Malgré cet engouement collectif, on imagine que le niveau de tension reste élevé: «Je ne vais pas dire que c’est facile, mais c’est grisant! Tester ses limites et voir de quoi on est capable. Mais avant tout, nous avons surtout la chance d’être dans une région où il existe une réelle expertise et un savoir-faire dans la gestion des événements. Au Canton comme à la Ville, une quinzaine de personnes peuvent répondre directement à 90% des questions qui se posent. C’est fondamental, et très rassurant.»
Financement et durabilité
Paradoxalement, le seul élément qui ne soit pas gigantesque est le budget qui se monte à environ 30 millions de francs. «Et ce sont les gymnastes qui constituent la principale source de financement à travers les frais d’inscription, qui s’échelonnent entre 70 et 178 francs en fonction de la catégorie. Les différents partenaires y contribuent pour 20%, et tout le reste provient de la vente de nourritures, de boissons et autres articles de souvenirs.»
L’édition 2025 de la Fête fédérale étant placée sous le double signe de l’équilibre financier et de la durabilité, les organisateurs n’ont pas compté les heures pour trouver, à chaque problème, la solution qui remplisse ces deux conditions. À cet égard, la question du merchandising illustre parfaitement cette recherche constante. «Avant de produire quoi que ce soit, nous nous demandons d’abord si cela est indispensable. Typiquement, veut-on produire 8000 t-shirts pour les juges et les volontaires, sachant qu’ils seront portés huit jours, le taux de réutilisation étant marginal? C’est pourquoi nous avons opté pour des bons d’achat offerts aux volontaires qui pourront ainsi choisir entre un t-shirt, un autre article ou encore un bon de restauration.»
À en juger par les premiers retours, cette démarche semble viser juste. «Une moitié des bénévoles a annoncé son intérêt plutôt pour le bon restauration que celui pour du merchandising, ce sondage permet d’en adapter la fabrication et une meilleure gestion des invendus.» Nul doute que le bilan de l’expérience sera attentivement suivi par de nombreux autres organisateurs d’événement.
Une mécanique de haute précision
Un autre défi de taille: le déplacement de dizaines de milliers de personnes vers Lausanne. «Pour comprendre l’essence de la Fête fédérale, il faut comprendre que les gymnastes vivent et se déplacent en groupe, précise Gaël Lasserre. Ce qui explique pourquoi 98% des participants disent venir en train. La question sera moins la largeur des routes que celle des trottoirs et des quais à la gare de Lausanne.» Le directeur général souligne le remarquable travail de coordination des CFF et des tl, qui devront absorber les flux: «À titre d’exemple, les CFF contactent chaque groupe de gymnastes pour planifier leur voyage, les placer à l’avant ou l’arrière du train en fonction de leur destination pour qu’ils soient le plus près possible du prochain arrêt de bus. On parle quand même de 2300 groupes, ce qui représente autant de téléphones… C’est dingue! C’est vraiment une belle mécanique de haute précision.»
Des volontaires au cœur du dispositif
Pour gérer les quelque 65'000 gymnastes, 4000 juges et 300'000 spectateurs, le Comité d’organisation compte sur l’appui de… 5000 bénévoles. Les chiffres sont étourdissants. «Encore un autre défi, sourit Gaël Lasserre. Si le Comité d’organisation compte environ 200 personnes, seule une vingtaine de postes sont salariés. A contrario, cela représente plus de 90% de bénévoles. Ils sont la colonne vertébrale de la Fête.» Pour ce qui est de leur mobilisation, les organisateurs font preuve d’un optimisme teinté de prudence: «Les gymnastes ont un très haut niveau d’engagement. Et on croit en eux, en leur enthousiasme et leur énergie, on sait qu’ils seront présents. Mais il faudra savoir les mobiliser jusqu’à la dernière minute. Ces dernières années, les gens ont pris l’habitude de se décider au dernier moment. Et je sais déjà que des volontaires s’inscriront pendant la Fête. Forcément, le choix des postes et des horaires se restreint…»
Pour surmonter ce défi, le Comité d’organisation peut également compter sur le précieux appui de la Ville de Lausanne et de l’État de Vaud: «Mais nous visons aussi quelques entreprises qui voudraient profiter de cette énergie positive pour innover en matière de team building.»
«Voir les yeux brillants des gymnastes»
On pourrait empiler à l’infini les défis auxquels doivent encore faire face Gaël Lasserre et son équipe. Et pourtant celui-ci semble serein, la parole posée, peut-être parce qu’il se sent privilégié en étant au cœur d’un événement d’une telle ampleur. «La Fête fédérale est un moment de partage et d’harmonie qui tranche avec la morosité ambiante. La grande force de cet événement, ce sont les valeurs simples mais fondamentales du sport. Celles de participer et d’être ensemble. Celles qui nous font aimer le sport. Les gens viennent d’abord pour être ensemble et faire la fête avant de penser aux performances. Au-delà du sport, ce sont aussi des sourires et des couleurs dans la ville, des gens qui chantent et qui dansent. Il suffit de voir les yeux brillants des gymnastes pendant la Fête, c’est quelque chose qui ne s’explique pas, mais qui doit se vivre. S’il est vrai que pendant huit jours il sera compliqué de se déplacer en ville, en même temps, ce sera un moment unique que les Lausannoises et Lausannois pourront vivre de l’intérieur, comme ils avaient pu le faire pendant les Jeux olympiques de la Jeunesse. Tout le monde en garde un excellent souvenir.»