Economie vaudoise
COVID: Les PME face à la crise

«La diversité du tissu économique vaudois sera notre chance dès la reprise»

Avec des milliers d’employés affiliés, le Centre patronal, à Paudex, peut prendre le pouls d’une économie vaudoise repoussée dans ses derniers retranchements depuis plusieurs mois. Pour son directeur Christophe Reymond, si les patrons font face, ils ne parviendront pas seuls à sortir du tunnel.
ARC Jean-Bernard Sieber

Christophe Reymond: «Notre atout pour tirer notre épingle du jeu est l’incroyable diversité du tissu économique.»

ARC Jean-Bernard Sieber

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Nicolas Rochat Fernandez.

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Christophe Reymond, comment se porte l’économie vaudoise aujourd’hui?
Elle est bousculée dans cette tempête sans précédent. À la sortie de l’été, les incertitudes n’étaient pas aussi fortes qu’aujourd’hui et c’est ce manque de perspective qui est le plus préoccupant pour un entrepreneur. Ce qui frappe dans cette crise, c’est qu’elle n’est pas locale, mais touche le monde entier, ce qui n’a rien d’anodin.

Dans ce cas, quelle attitude adopter? 
Pour commencer, il faut rester modeste et raisonnable par rapport aux exigences que l’on peut formuler envers les autorités. Il faut aussi veiller à ne pas entrer dans une surenchère de mesures sous prétexte que le voisin en fait plus que nous. 

Du coup, on se trouve à des années-lumière de vos excellentes prévisions financières de l’an dernier?
Oui, c’est incroyable et il faut le voir comme une chance, si j’ose employer ce mot. Nous ne partons en effet pas de zéro, mais d’une situation qui était excellente et appelée à le rester. Au niveau du canton, c’est dire que nous avons les moyens de faire face à cette crise, même s’il est clair que des situations personnelles sont dramatiques puisqu’elles se concluront par des faillites. 

N’est-ce pas étonnant, ce délai aussi rapide?
Oui, c’est juste et cela me surprend autant que vous. Dans ce canton d’ordinaire prévoyant, nous avons constaté qu’une partie de l’économie se trouvait dans un état de fragilité dont personne n’avait vraiment conscience, puisqu’au bout de quelques jours de fermeture seulement, certaines appelaient déjà à l’aide. Cela démontre la nécessité de constituer des réserves lorsque la situation le permet, justement pour faire face à des coups durs qui par définition sont imprévisibles.

Faut-il être raisonnablement inquiet ou carrément paniquer?
La réponse se situe entre les deux. Ce qui est ahurissant, c’est de voir la liste des suppressions d’emplois rien qu’en parcourant les articles de journaux. Jusqu’ici, celles-ci ne concernent que des groupes importants, que l’on imagine structurés et capables de résister un moment à un environnement difficile. Le problème est que leurs difficultés vont rejaillir sur les plus petites PME et que les effets désastreux vont se faire sentir avec un effet retard que personne ne peut maîtriser. 

En quoi une multinationale en difficulté pose-t-elle un problème au boulanger du coin?
Parce que c’est toute la chaîne de l’économie qui est grippée. Une grosse entreprise dépense beaucoup d’argent dans son périmètre, organise des cocktails, achète du pain pour son restaurant collectif, rénove ses bureaux, réserve des chambres d’hôtels et des tables au restaurant pour ses visiteurs.
 

Y’a-t-il un cas qui vous a frappé plus particulièrement, alors que vous êtes censé deviner les soubresauts de l’économie?
J’en cite un parmi d’autres, car il est assez paradoxal: celui des entreprises de nettoyage. On pourrait imaginer – avec toutes les consignes de désinfection – que les employés effectuent de nombreuses heures supplémentaires, alors que c’est tout le contraire. Nous le voyons à travers la baisse des cotisations sociales. Pendant le confinement, des entreprises ont supprimé leurs abonnements, alors que d’autres ont décrété qu’elles ne voulaient plus prendre le risque d’accueillir des personnes extérieures à l’entreprise. Et vous pouvez répliquer l’exemple dans l’événementiel, la restauration, l’hôtellerie, etc.  

Cette pandémie est-elle vécue par tout le monde de manière équitable?
Non et c’est une question qui me préoccupe. En effet, si vous prenez les rentiers, les employés de l’Etat et des communes, vous avez une petite de la population partie – toujours la même – qui n’en subit pas les effets de plein fouet. Les personnes « au bénéfice » de la réduction d’horaire de travail sont les seuls salariés du secteur privé. A force d’avoir son salaire diminué, alors que ce n’est pas le cas pour d’autres, cela pose un véritable problème. Il faudra sans doute trouver des mécanismes pour éviter que des écarts ne se creusent de manière trop grande au sein de la population. À mon sens, le Conseil d’État doit être très attentif à ce biais manifeste.

Qu’est-ce qui va véritablement changer demain? Le télétravail par exemple?
L’accélération de la numérisation, des prestations en ligne, par exemple. Le télétravail pour tout le monde? La réponse est clairement non. Chacun va proposer des possibilités de s’organiser à son personnel, mais à un degré moindre, d’autant que des collaborateurs ne veulent pas travailler à la table de leur cuisine.

En quoi avez-vous vu un avantage pratique à cette crise?
Je crois que nous avons tous compris qu’un déplacement entre Lausanne et Zurich n’était plus forcément nécessaire avec une bonne connexion internet. Là, je crois qu’il y aura vraiment un gros changement dans les mentalités pour passer plus de temps sur les dossiers à traiter plutôt que sur la route. Mais ensuite les gens vont revenir à la normale, recroiser leurs collègues et reprendre leurs habitudes.

Finalement, l’économie vaudoise aura-t-elle l’occasion de tirer son épingle du jeu lorsque tout reviendra comme avant?
Oui, clairement. Notre atout est l’incroyable diversité du tissu économique, lequel ne dépend pas d’une monoculture, comme peut l’être une certaine dépendance genevoise à l’international. On a vu d’ailleurs très rapidement que nos entreprises se sont organisées, ont proposé des alternatives à leurs clients. J’ai vu aussi que beaucoup d’entre elles étaient très souples, que la recherche et l’innovation, très présentes dans le canton de Vaud, prennent une réelle importance pour trouver des pistes innovantes dès que la reprise sera là, ou même dès maintenant. Sur ce point, je suis très optimiste.

 «Ce n’est pas aux salariés de payer l’addition de la crise»

Entre politiciens et défenseurs des entrepreneurs, les syndicats ont aussi œuvré pour défendre leurs membres. Juriste à Unia Vaud, Nicolas Rochat Fernandez estime qu’il ne faudra pas les oublier.

S’il n’est pas simple de défendre les droits syndicaux en temps normal, l’affaire relève du casse-tête lorsque tout le monde appelle à l’aide, à commencer par… les employeurs. Pour Nicolas Rochat Fernandez, juriste au sein du syndicat Unia-Vaud, il faut d’abord rendre hommage aux hommes et femmes de terrain. «On voit beaucoup de professions mises en avant de manière parfois aléatoire, mais dans les grandes surfaces, les chantiers et les usines, ils, elles sont des milliers à avoir répondu présent, en effectuant aussi – paradoxalement – des heures supplémentaires. Ça, le patronat ne devra pas l’oublier lorsque nous nous réunirons à nouveau à la table des négociations, qui ne disparaissent sous prétexte qu’on traverse une crise. En clair: ce n’est pas aux salariés de payer l’addition!» 
Si l’on voit beaucoup les politiciens sur le devant de la scène, Nicolas Rochat Fernandez rappelle le travail incessant de ses collègues, sur le terrain depuis le mois de mars. «Il y a eu des batailles, notamment pour faire prendre conscience aux employeurs qu’il y avait des normes d’hygiènes à respecter, des équipements à fournir et que les contrôles étaient indispensables. À mon sens, les syndicats ont joué leur rôle et les compensations ici et là, des primes parfois, ne sont pas le fruit du hasard, mais de notre pression continue en faveur des salariés.» 

Permanence en surchauffe
Selon le juriste, l’inquiétude est vive au sein de ses membres, qui ont souvent l’impression de faire partie d’une majorité silencieuse sans prise directe sur les décisions qui peuvent concerner leurs emplois. «Il y a eu un afflux de téléphones, sans doute comme jamais, durant le confinement. Nous avons réalisé des séances d’information en direct sur les réseaux sociaux et plus de 1000 personnes étaient parfois réunies en même temps pour poser des questions sur la grande crainte du moment: auront-ils un travail demain. En ce sens, l’appui du syndicat est primordial pour une très vaste tranche de la population.»
Pour Nicolas Rochat Fernandez, il s’agit maintenant d’être à la hauteur de l’enjeu. «À moyen terme, il nous faut une sortie de crise solidaire sans brandir l’argument Covid pour refuser chaque prétention légitime. Nous avons un pays qui est en capacité de surmonter cette tempête, de mettre les moyens nécessaires pour maintenir le pouvoir d’achat indispensable à notre économie. Contre toute attente, les milieux patronaux sont les premiers à demander des baisses d’impôt et du soutien: j’y vois une bonne nouvelle puisque cela démontre qu’ils sont, pour une fois, connectés à la réalité des salariés, ce que les syndicats sont réellement depuis toujours.»