À peine le refus de la construction d’un nouveau Musée cantonal des Beaux-Arts sur le site de Bellerive était-il connu que l’ancienne conseillère d’État Anne-Catherine Lyon et son collègue Pascal Broulis, alors président du Gouvernement vaudois, remettaient l’ouvrage sur le métier. Sans forcément anticiper l’ampleur qu’allait prendre ce projet – on allait passer de la construction d’un «simple» musée à la création d’un véritable quartier des arts –, Pascal Broulis encourageait d’emblée le principe d’un partenariat public-privé (PPP). À cette même époque, Bernard Decrauzat, ancien patron du CHUV et secrétaire général du Département de la santé et de l’action sociale, était appelé à présider le groupe cantonal d’évaluation des sites, chargé de trouver un autre lieu que les rives du lac – ce dernier point ayant provoqué le rejet du projet.
Occupant, dès son lancement, différentes fonctions au sein des instances dirigeantes de ce projet, c’est peu dire que Bernard Decrauzat connaît son sujet, et tout particulièrement celui du partenariat public-privé, puisqu’il en fut l’un des artisans aux côtés de Pascal Broulis et de la Fondation de soutien présidée aujourd’hui par la députée Catherine Labouchère. «Historiquement, la Loterie romande et la Fondation Leenaards s’étaient déjà clairement manifestées pour soutenir financièrement le projet de Bellerive, puis elles avaient renouvelé leur engagement en faveur du nouveau projet de la gare», rappelle Bernard Decrauzat.
Enthousiasme et générosité
Ainsi, au moment de rédiger la demande de crédit d’études et d’ouvrages du premier musée, une cible de 34 millions de francs sur un coût total de 83 millions était déjà fixée au titre du partenariat privé. Parallèlement, une fondation de soutien s’était constituée en 2012, présidée les premières années par Olivier Steimer, à l’époque président du conseil d’administration de la Banque cantonale vaudoise. Son principal objectif était alors de soutenir en priorité la recherche de fonds pour le financement des bâtiments, mais également de récolter des fonds pour les expositions des différents musées.
«Cette fondation de droit privé permet d’offrir aux différents donateurs une solide garantie sur la bonne utilisation des fonds, explique Bernard Decrauzat. Elle a également permis de tisser des liens de confiance entre l’État et les partenaires privés. Il faut préciser que si ce type de partenariat est depuis longtemps monnaie courante en Suisse alémanique – surtout à Zurich ou à Bâle – elle l’est beaucoup moins chez nous. Mais grâce au renforcement du lien de confiance, et à l’engouement suscité par le projet des architectes Fabrizio Barozzi et Alberto Veiga, nous avions réuni la totalité de notre objectif, soit 34 millions de francs, avant même que le permis de construire ne fût délivré, plusieurs mécènes et sponsors ayant tenu à s’identifier à ce projet.»
Fort de ce succès auprès des mécènes, la somme de 40 millions de francs (sur un total de 100 millions de francs) fut ensuite fixée pour la construction du deuxième bâtiment des frères Aires Mateus. Dans le même esprit, et grâce à la pugnacité et l’enthousiasme contagieux du chef du Département des finances, le montant espéré est quasiment atteint au moment de son inauguration, à savoir 35,5 millions. À ce jour, le total cumulé pour les deux musées est de 70 millions de francs de dons, ce qui
«témoigne d’un réel intérêt et une belle générosité des mécènes et sponsors soucieux d’associer leur nom au rayonnement des arts au sein de notre canton et au-delà.»
Charte éthique
La notion de partenariats publics n’a pas manqué de soulever quelques questions, notamment celle de savoir si un donateur pouvait exercer une influence quelconque sur la programmation des musées: «Il faut d’abord distinguer le mécénat du partenariat. Le premier n’attend rien en échange de son don, il s’agit la plupart du temps de personnes passionnées par les arts, qui se sentent concernées par le projet et souhaitent simplement aider à sa construction et renforcer la dimension culturelle du canton de Vaud. En revanche, lorsqu’il s’agit de sponsors, nous négocions des contreparties qui sont à la hauteur du don et limitées dans le temps.» Cela peut se traduire, notamment, par la mise à disposition ponctuelle d’un auditoire ou encore la possibilité d’organiser une visite pour leurs collaborateurs ou leur clientèle (ou de leur offrir un nombre déterminé d’invitations), de créer à leur charge des événements internes à leur entreprise. «Il est bien entendu que cette utilisation est strictement subordonnée au calendrier des activités du musée. Et rien ne saurait y déroger». De même, la contrepartie peut consister en l’ajout de la marque de l’entreprise sur certains documents édités par les musées, comme des invitations, des catalogues ou encore le rapport annuel.
«Ces contreparties sont parfaitement bien définies, souligne Bernard Decrauzat. Mais pour éviter toute entrave à l’indépendance des musées, la fondation de soutien s’est dotée d’une charte éthique qui rappelle ce principe fondamental, mais qui pose également la traçabilité des fonds comme une condition incontournable.»
«Impôt» en œuvres d’art
Bernard Decrauzat rappelle qu’au-delà du financement des murs il existe un outil précieux qui s’adresse en priorité aux collectionneurs: «Depuis 2006, la loi vaudoise permet la dation d’œuvres d’art en paiement d’impôts sur les successions et les donations.» Activé pour la première fois en juin 2014, cet instrument avait permis d’enrichir la collection du MCBA d’une œuvre de la peintre Alice Bailly, puis de sept cahiers à dessin d’Aloïse, et de six œuvres d’une collection privée – le MCBA eut le privilège rare de pouvoir faire son choix parmi les 300 pièces de cette collection. «Si cette loi fut longtemps ignorée, on constate ces dernières années que cet instrument fiscal commence à faire son chemin dans l’esprit des collectionneurs qui vivent dans notre région. Souvent heureux et fiers de savoir que «leurs» œuvres seront accrochées dans ce nouveau musée. Il existe toujours une histoire intime entre un collectionneur et «son» tableau.»
La Cartographie du don
Pour rappeler l’importance du don, qui a considérablement embelli ses collections, le MCBA avait organisé, en 2019, une première exposition dans son nouveau bâtiment autour de ce dénominateur commun: Atlas. Cartographie du don. Ce fut l’occasion rêvée de présenter les dons et dépôts dont il a bénéficié tout au long de son histoire: rien de moins que des pièces de Rodin, Klee, Balthus, Giacometti, Vallotton, Soutter, Soulages et Zao Wou-Ki, pour n’en citer que quelques-unes.
Dans le foyer du MCBA, en entrant, il est difficile de manquer l’Arbre de Penone qui s’élève en hauteur, et ses feuilles dorées sur lesquelles viennent se refléter la lumière zénithale. «Cette œuvre est l’une des nombreuses donations d’Alice Pauli, rappelle Bernard Decrauzat. La galeriste lausannoise était depuis ses origines un précieux soutien du nouveau musée à qui elle souhaite de prendre une ampleur internationale. Pour l’aider dans cette voie, et connaissant les contraintes financières des institutions publiques, elle a déjà offert ou promis au musée des pièces d’artistes incontournables, comme Soulages, Kapoor, Kiefer, Nunzio, Cognée, et Paolucci…