L’univers ferroviaire. Pouvait-on imaginer plus belle destination commune pour nos trois musées installés sur une ancienne friche CFF à deux pas de la gare de Lausanne, jadis étape du mythique Venise – Simplon – Orient-Express?
Pour réunir des institutions aussi différentes qu’un musée des beaux-arts, un musée de photographie et un musée de design sur un projet d’exposition, il fallait pourtant trouver un terreau commun. Comme le résume Bernard Fibicher, directeur du MCBA, les trois musées ont «dû d’abord s’affranchir de toute approche littérale ou strictement chronologique – comme dans l’exposition Europalia des Musées royaux des beaux-arts à Bruxelles qui a mis le train à l’honneur en 2021. A l’unanimité, on ne voulait pas d’une énième rétrospective sur le sujet…»
De là est née l’idée d’une approche transversale et transdisciplinaire pour chaque musée: adieu bornes chronologiques et frontières entre les médiums, bienvenue pour un voyage spatio-temporel vers l’inconnu… Le public est ainsi confronté, au sein des trois institutions, à la peinture, aux arts graphiques, à la sculpture, à la vidéo, aux objets, aux installations et même à la littérature. Dans ces bâtiments flambants neufs, le credo a été de jouer la carte de l’immersion, de faire du visiteur un passager, un voyageur ouvert à l’aventure.
Comme l’explique Marc Donnadieu, conservateur en chef de Photo Élysée et commissaire de l’exposition, les trois musées ayant peu ou prou le même budget, à peu près la même surface, chacun se devait simplement de garder sa singularité et n’en pas dévier: «Comment regardons-nous le monde?»
C’est ainsi que le MCBA, «attaché à la notion de chef-d’œuvre absolu » pour reprendre l’expression de Marc Donnadieu, a décidé d’embarquer pour des Voyages imaginaires à travers l’exposition de 60 œuvres emblématiques du XXe siècle célébrant l’univers ferroviaire de manière métaphorique. Du côté de Photo Elysée, attaché par sa nature-même de musée de photographie à la notion de réalité, l’exposition Destins Croisés est plus proche du documentaire et de l’Histoire, plus étalée également avec près de 350 œuvres exposées. Au mudac enfin, Rencontrons-nous à la gare est un laboratoire scénographique et fictionnel inédit où le train n’est pas synonyme de voyage, mais de lieu des rencontres possibles.
Trois musées, trois approches, comme autant de wagons qui constituent l’exposition générale TRAIN ZUG TRENO TREN. – dont le titre est décliné dans les quatre langues nationales – tirée par la locomotive Plateforme 10.
Selon Marc Donnadieu, «il faut voir les trois expositions car aucune n’est exhaustive et toutes ont un point de vue qui leur est propre. Et grâce au billet commun, malicieusement pensé comme un ticket de transport flexible, on peut découvrir TRAIN ZUG TRENO TREN. en plusieurs fois ou d’un seul coup, «comme un grand voyage où l’on change de quai; ce n’est pas un direct, et il y aura forcément de l’imprévu à chaque station…»
Bien que les trois musées aient œuvré chacun à l’élaboration de leur exposition propre, «un étroit travail a été mené entre les institutions depuis trois ans» explique Bernard Fibicher. Étroit et intense. Comme il le précise encore, l’exposition du MCBA ne montre qu’une seule œuvre de ses collections… «Tout le reste a été emprunté aux quatre coins du monde, jusqu’au fin fond du Midwest!» Du côté de Photo Elysée, seuls 20% des œuvres appartiennent au musée: tout le reste provient de quelque 85 prêteurs de sept nationalités différentes. Marco Costantini, directeur adjoint du mudac et également commissaire de l’exposition, raconte comme il a dû se battre pour certaines pièces très prisées ou encore des œuvres très fragiles. Un travail colossal de demandes de prêt, nettement facilité par la proximité des trois musées: partages de carnets d’adresses, mais aussi mutualisation budgétaire pour des appels d’offre en commun concernant les transports, ou tout ce qui concerne les logiciels informatiques, les systèmes de sécurité, les équipes d’accueil et de gardiennage.
Ponts et correspondances
Et l’aspect scientifique? Marc Donnadieu explique: «C’est vraiment très enrichissant de pouvoir partager avec nos consœurs et confrères. Cela permet d’échanger sur le contenu, d’affiner le propos scientifique, de créer des échos, des résonnances…» Le public pourra ainsi s’amuser à repérer des artistes en commun comme Chris Burden au mudac et au MCBA, Nan Goldin ou JR à Photo Élysée et au mudac, ou encore Fernand Léger, Giorgio de Chirico, Georges Méliès et Jean Renoir au MCBA et Photo Élysée.
Dans cet «esprit de coopération mutuelle et de collégialité» que salue Marc Donnadieu, quelques rocades d’œuvres ont aussi permis d’enrichir les projets: c’est ainsi que Photo Élysée a confié une photographie de wagon en contre-jour de sa collection et un Servranckx d’un prêteur belge au MCBA qui entraient parfaitement en résonance avec l’ambiance des toiles de Magritte et de Delvaux; sans oublier un passage de relais autour de l’œuvre de Gordon Matta-Clark entre Photo Élysée et le mudac… Autant de ponts qui donnent de la hauteur au voyage, et que le public pourra retrouver dans les catalogues des trois expositions (176 pages chacun) disponibles pour l’occasion en coffret, dans une belle édition qu’on imagine un jour collector.