Du côté du MCBA, installé sur le site de Plateforme 10 depuis 2019, on connaît déjà le paysage. Pour raccrocher les wagons de l’exposition TRAIN ZUG TRENO TREN., le conservateur Camille Lévêque-Claudet a imaginé une exposition transversale et pluridisciplinaire de 60 chefs-d’œuvre venus du monde entier. Le public pourra ainsi découvrir ce que l’épopée ferroviaire a inspiré à des peintres aussi fameux que René Magritte (BE, 1898-1967), Leonor Fini (FR, 1907-1996) ou encore Edward Hopper (USA, 1882-1967), mais également à des réalisateurs du début du siècle comme Georges Méliès ou Jean Renoir ainsi qu’à des artistes contemporains à l’instar de Fiona Tan (AUS, *1966). Dans son installation de modèles réduits ferroviaires, cette dernière nous offre «les coulisses de l’existence, selon les mots de Bernard Fibicher. Comme si on avait un contrôle total sur ce petit monde… Sauf qu’à un moment, quelque chose déraille…»
Mais avant de dérailler, tout semble bien huilé comme tend à le démontrer le découpage opéré par Camille Lévêque-Claudet. Un ensemble important d’œuvres futuristes – de l’Italien Gino Severini (1883-1966) au Vaudois Gustave Buchet (1888-1963) en passant par le Français Fernand Léger (1881-1955) – magnifient ainsi le train par de vibrants «ressacs multicolores et polyphoniques» pour reprendre les mots du chef de file du futurisme Filippo Tommaso Marinetti en 1909. «C’est vraiment l’éloge de la vitesse, des progrès de l’ère industrielle en ce début de XXe siècle» explique Bernard Fibicher. Une technologie pleine de panache – littéralement le «panache blanc» des locomotives fumantes et hardies, semblant voler comme chez le Britannique J.M. William Turner (1775-1851) ou magnifiant les noirs profonds de certaines photographies d’après-guerre.
Le revers de la médaille de ce cheval-vapeur piaffant et galopant? «Ce sont les surréalistes qui nous le font miroiter en pointant le cauchemar de l’industrialisation après la Première Guerre mondiale; c’est l’arrivée de l’accident, de l’inquiétude. Le train devient une plateforme pour l’imaginaire: la machine rationnelle se transforme en machine symbolique, où érotisme et angoisses se rencontrent». C’est le temps des mystérieuses associations: dans ses peintures quasi psychanalytiques, l’Italien Giorgio
De Chirico (1888-1978) pointe le vide et l’absence que suggèrent les gares; le Belge René Magritte imagine, lui, une locomotive fumante sortant d’une cheminée pour envahir un salon bourgeois... Puis les «fantasmes noirs», incarnés notamment dans un bel ensemble d’illustrations de l’Allemand Max Ernst (1891-1948), prennent le relai: «Un monde des possibles, un bestiaire bizarre et angoissant» comme le décrit Bernard Fibicher.
Moins cauchemardesques, les «voyages intérieurs» du Belge Paul Delvaux (1897-1994)? Rien n’est moins sûr. Dans ces grandes huiles au réalisme naïf qui rappellent par certains aspects les jungles du Douanier Rousseau, les gares nocturnes sont animées d’étonnantes figures, vénus bourgeoises ou jeunes filles muettes contemplant les savants assemblages des rails comme autant de lianes noires et graisseuses.
«Loin des gares chamarrées et cosmopolites, on se retrouve ici dans ce que Foucault appelle l’hétérotopie, ces lieux intermédiaires et inquiétants». Préparez-vous à un voyage plus que dépaysant.