Plateforme 10, le nouveau quartier des arts de la capitale vaudoise, va ouvrir ses portes le week-end des 18 et 19 juin prochain. Les Vaudoises et les Vaudois pourront enfin découvrir le bâtiment qui accueillera Photo Élysée (le Musée cantonal de la photographie anciennement appelé «Musée de l’Élysée») et le mudac (le Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains). Pour cette occasion unique, une exposition inaugurale et transversale intitulée Train Zug Treno Tren réunit les trois institutions qui explorent, chacune à leur manière, la thématique ferroviaire afin de rendre hommage au lieu sur lequel est bâti Plateforme 10, soit l’ancienne halle aux locomotives, à quelques enjambées de la gare de Lausanne, ancienne étape du mythique Venise-Simplon-Orient-Express.
La surface de cinq terrains de football
Maintenant que les échafaudages du deuxième chantier sont retirés, Plateforme 10 va pouvoir se déployer et offrir au public un espace comme il en existe peu en Europe. Déjà par sa taille et sa localisation : il occupe une surface de 25’000 m2, soit l’équivalent de cinq terrains de football. Elle s’étend dans le prolongement de la gare de Lausanne. Elle-même située au cœur du réseau ferroviaire vaudois, suisse et européen, à moins de quatre heures par le rail des gares de Milan et de Paris.
Avant son inauguration, l’architecte cantonal Emmanuel Ventura nous fait découvrir le nouveau bâtiment, sa construction et ses petits secrets techniques. Il nous emmène également en balade à travers le site de Plateforme 10, qui donne toute sa dimension culturelle à l’architecture omniprésente.
Deux blocs posés l’un sur l’autre
A tout seigneur, tout honneur, le dernier né, «Un musée, deux musées». Véritable bijou architectural façonné par les frères Manuel et Francisco Aires Mateus, il réunit sous un même toit Photo Élysée et le mudac. Comme le décrit Emmanuel Ventura, il s’agit de deux blocs posés l’un sur l’autre qui se touchent en trois points: «Il était en effet très important pour les architectes de symboliser cette force, cette tension, qui permet la réunion des deux institutions tout en marquant fortement leurs identités respectives. Toute la force du projet est d’avoir résolu cette équation.» A l’étage, au mudac, la «white box» profite ainsi de la lumière zénithale propice à l’exposition des objets. Tandis qu’à l’étage inférieur, Photo Élysée est conçu comme une sorte de «black box», mieux adaptée au médium photographique – même si un apport de lumière naturelle et latérale, bien canalisé, est rendu possible par la création d’un patio qui sert également d’espace vert.
L’espace public s’invite à l’intérieur
Pour Emmanuel Ventura, la réussite, celle qui trahit la patte d’un grand architecte, est d’avoir d’abord pensé le foyer intérieur situé entre les deux volumes comme un prolongement de l’esplanade extérieure. «Comme si l’esplanade se glissait dans le musée dans un esprit de continuité, invitant le public à s’y engouffrer et investir le lieu pour découvrir les expositions du moment, pour boire un café à la cantine, acheter un catalogue d’exposition ou un livre à la librairie, ou simplement flâner entre les murs.»
Ensuite, les architectes ont réussi à créer un sentiment de flottement lorsqu’on déambule dans cet espace public. Au départ du projet, les architectes portugais, qui travaillent très étroitement avec l’ingénieur Rui Furtado, voulaient de fait un espace qui flotte, «un moment antigravitationnel, sans haut ni bas». Mais pour aboutir à ce résultat, il a fallu mettre en œuvre un système complexe qui permette de porter un volume de 42 mètres sur 40 en béton pesant 1100 tonnes – ce qui est énorme! – avec un minimum de supports pour le tenir. Ils ont alors conçu le sol et la couverture de l’espace commun entre les deux musées pour qu’ils ne se rejoignent qu’en trois points d’appui. Encore émerveillé par la prouesse technique des architectes Aires Matus, Emmanuel Ventura explique pourquoi il s’agit d’un bâtiment-pont: «Toute l’ingénierie civile qui a permis ces calculs et les techniques qui ont été utilisées font entièrement écho aux technologies de construction de ponts.»
Lumière sans fin
L’autre tour de passe-passe des architectes a été de cacher ces trois points d’appui par ses facettes. Il s’agit de plans inclinés, de tailles variables, au nombre de 72. On les voit au sol et au plafond qui déforment les perspectives : « Il est vrai que lorsqu’on regarde devant soi, on a toujours l’impression de flotter entre deux espaces, que cela perturbe la vision, mais sans jamais avoir le sentiment de se faire écraser entre deux masses », confie l’architecte cantonal. L’idée des frères Aires Mateus était également de cacher à l’intérieur de ces trois piliers tout ce qui n’est visuellement pas intéressant: ascenseurs, escaliers de secours et toilettes.
Quant aux 72 facettes, elles ont surtout la vertu de faire rebondir la lumière sur les murs blancs du matin au soir, offrant ainsi un spectacle quasi permanant: «Les architectes des pays du sud maîtrisent la lumière naturelle comme personne, ils la laissent entrer, se répercuter d’une facette à l’autre et taper tous azimuts. Tout au long de la journée, on voit le soleil qui tourne d’est en ouest, et plus le soleil est à l’horizon, plus ses rayons investissent les espaces, créant des jeux de lumière d’une grande beauté. Ces murs blancs inclinés agissent tous comme des réflecteurs de soleil.»
L’ingénierie des musées: le monde de l’invisible
Après avoir parcouru le monde du visible, Emmanuel Ventura nous emmène vers celui de l’invisible. Comme il aime à dire, le visible est beau, il est fort, il est maîtrisé: «Mais surtout, dans un musée, il y a l’invisible. Il est extrêmement important, même plus que son enveloppe esthétique.» Cet invisible enrobe toute la technologie qui permet de réguler la température, l’hygrométrie et la lumière – et cela, bien sûr, sans même que le public ne s’en aperçoive. «On est au cœur du sujet. Dans un musée, la maîtrise de ces trois éléments est essentielle pour la conservation et l’exposition des œuvres. Il faut maintenir en toutes circonstances une température absolument constante de 21°C, un taux d’humidité de 50% et un flux de luminosité de 200 lux. Et il ne s’agit pas d’une moyenne, ce doit être une constante, quoiqu’il se passe dans la journée.» Exemple classique : une cinquantaine de personnes rentrent dans une salle, leur température corporelle est d’environ 36°. Ils viennent de l’extérieur, et ce jour-là il pleut; leurs habits sont trempés. «Évidement, cela va perturber le climat. Mais toutes sortes de capteurs vont permettre de réinjecter dans le système du chaud, du froid ou de l’humidité ou encore l’assécher. Une salle de musée est une sorte d’organisme vivant qui, en permanence, se corrige, s’équilibre, afin que les œuvres d’art vivent dans un climat constant.»
Le défi fut ensuite de faire disparaitre tout cet appareillage technique. Tout un art parfaitement maîtrisé par les architectes portugais. Aucun tube, aucun spot n’est apparent. «Dans les salles, personne ne verra une gaine de ventilation alors que, bien évidemment, il y en a partout. On a caché l’invisible», souligne Emmanuel Ventura.
Un quartier dans la ville
L’une des grandes forces du projet imaginé et réalisé par les frères Aires Mateus est également la manière dont ils ont pensé la relation entre le bâtiment et son environnement: «Les architectes ont clairement voulu faire la part belle à la ville, aux voisins et aux visiteurs en créant à l’extérieur du musée des espaces publics d’une rare qualité esthétique et architecturale», s’enthousiasme l’architecte cantonal.
Pour apprécier ce travail, il suffit de longer les arcades, parcourir l’esplanade, emprunter les escaliers qui mènent au patio situé au niveau de Photo Élysée, puis se rendre aux jardins en toiture depuis lesquels on fait face aux montagnes savoyardes, une vue tout droit tirée d’un Ferdinand Hodler. Mais il y aussi tout le jeu du cheminement typique de l’urbanisme lausannois, fait de passages secrets et de chemins de traverse qui permettent de passer par le toit d’un bâtiment, glisser derrière des villas par un escalier dérobé entre deux murs qui mène sur l’esplanade, puis vers la gare. «Les gens pourront traverseront l’esplanade de Plateforme 10 pour aller dans leur quartier respectif. Ce projet permet véritablement la rencontre d’un quartier de vie et d’un quartier des arts. C’est l’un des éléments forts de ce projet, qui est bien évidemment aussi à mettre en lien avec la question de la rampe.»
Une liaison verte
Inaugurée le 13 mai dernier, une rampe de mobilité douce permet désormais de relier plus facilement l’ouest et l’est lausannois. Long de 250 mètres, avec une pente de 5%, ce parcours relie directement la place de la Gare à l’avenue Marc-Dufour, permettant ainsi aux piétons et cyclistes d’éviter le trafic de l’avenue Louis-Ruchonnet.
Pour prolonger l’esprit de Plateforme 10 au-delà du site proprement dit, l’idée a germé d’associer les Musée et jardins botaniques cantonaux au quartier des arts en leur demandant de transformer cette rampe en véritable voie fleurie et de créer un parcours didactique.
Sans attendre, son directeur François Felber et son équipe ont fait fleurir un projet luxuriant. Dans la partie bordée par le mur de soutènement, les marcheurs pourront toucher, avec les yeux seulement, une collection de plantes provenant d’Asie, d’Amérique et d’Europe. Tous les murs en béton seront ainsi recouverts de végétation grimpante et descendante. A portée du public grâce à des sentiers, la partie centrale sera dédiée aux plantes indigènes: arbres, arbustes, plantes vivaces ou fleurs des foins. Et selon les saisons, les passants pourront même tendre la main pour déguster un fruit.
Toitures en fleurs
La végétalisation du site de Plateforme 10 ne s’arrête pas en si bon chemin. Les toitures de la partie administrative – qui entoure en partie le musée – sont désormais aménagées en jardins. «Un très beau concept paysager prévoit la création de cinq îlots de plantation, dont les couleurs florales couvriront l’entier du spectre, de l’ultraviolet à l’infrarouge. Tout au long de l’année, selon un calendrier préétabli, il y n’aura que des plantes bleues qui vont pousser et fleurir pendant un mois, puis des fleurs jaunes, rouges, oranges ou encore violettes vont se succéder au fil des saisons. Un clin d’œil évident à l’univers de la photographie.»
En attendant d’admirer ces bouquets chromatiques, le public pourra investir l’entier du site de Plateforme 10 à partir du week-end du 18 et 19 juin prochain, et surtout découvrir les mille et une facettes de ce quartier des arts qui sort tout juste de terre.