Avis de tempête sur l’économie suisse et son industrie. La guerre, le franc, les droits de douane… Les mauvaises nouvelles se succèdent pour les entreprises actives dans le canton, dans un secteur marqué par des succès souvent éclatants, mais qui subit aussi des décisions qui marquent. On a vu récemment les fermetures successives de sites emblématiques d’une époque, comme la Verrerie de Saint-Prex ou le Centre d’impression à Bussigny.
Dans ce contexte chahuté, il faut savoir garder la tête froide; miser sur les atouts de la Suisse. Fiabilité, qualité, recherche et innovation en sont les quatre piliers. Dans le même temps, le marché – qui implique la concurrence – est devenu mondial.
En plein cœur de ce chaudron, Raphaël Conz, chef du Service cantonal pour la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI), est en contact quasi permanent avec les acteurs industriels du canton, dont la résilience semble forte malgré les secousses de 2025. «Des fleurons emblématiques qui cessent leurs activités, c’est logiquement marquant pour la population. Mais dans le même temps, d’autres sociétés prennent le relais et nous pouvons globalement nous en réjouir. Je peux citer comme exemple Swissto12, qui a vu le jour à l’EPFL, et qui est aujourd’hui une PME industrielle vaudoise occupée à la fabrication, au développement et à la commercialisation d’un satellite; elle compte environ 150 emplois. Prenons encore Ecorobotix, au départ une autre start-up, qui compte aujourd’hui près de 200 emplois et qui vend désormais sa technologie liée à l’agriculture dans le monde. Cela témoigne donc d’un certain renouvellement du tissu économique avec la croissance de nouveaux acteurs aux parcours très intéressants, et avec la création de nombreux emplois».
Innover et se démarquer
Des coups durs? Le canton n’a pas attendu l’avènement de Donald Trump pour en connaître, ce qui témoigne de la vie de l’économie avec ses réussites et ses revers. L’important est de ne jamais perdre le nord. «La Suisse évolue toujours dans une dimension qui n’est pas celle des marchés et des produits de masse, mais de ceux qui reposent sur une forte valeur ajoutée et qui sont capables de se démarquer auprès de la clientèle, car ils répondent à un besoin spécifique, sans parler de leur qualité. C’est clairement là que nous sommes capables de nous différencier, ce qui nécessite d’être à la pointe dans la recherche et le développement, ainsi que dans l’innovation, compte tenu notamment de nos conditions-cadres et du coût de la main-d’œuvre hautement qualifiée».
En clair, quand on parle aérospatial ou «agritech», par exemple, il est nécessaire d’être à la pointe, défi que de nombreuses entreprises vaudoises parviennent à relever. «L’autre atout important reste notre savoir-faire, d’abord celui des métiers liés à l’horlogerie, dont plusieurs dérivés dans les machines ou le traitement des pièces (usinage, métaux, etc.) ont ouvert des débouchés dans plusieurs secteurs. Mais c’est aussi là qu’on enregistre les soubresauts, quand une région du monde consomme moins ou se tourne vers d’autres marchés, car les sous-traitants sont forcément touchés par une baisse dans les carnets de commandes des manufactures qu’ils contribuent à fournir».
Raphaël Conz souligne toutefois la grande agilité de la plupart des entreprises qui ont gagné en souplesse ces dernières années, quand elles doivent réagir.
«Les dirigeants ont compris qu’ils ne pouvaient plus dépendre d’un seul secteur, car l’économie mondiale bouge bien plus que par le passé. Ils ont souvent pris des mesures pour se diversifier et se tourner vers le domaine spatial ou les technologies médicales. Et cette diversification est très importante».
Pendant les périodes de vaches maigres
Reste que l’apparition des mesures en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) ne fait plus figure d’exception, preuve que la situation est sous tension. «C’est précisément là que le SPEI entre en scène – par exemple via le Fonds de soutien à l’industrie – dans un but très simple: conserver le savoir-faire humain pendant les périodes de vaches maigres, car cette préservation des connaissances et compétences industrielles est essentielle. Et puis, il y a aussi une capacité à se renouveler et à développer de nouvelles technologies dans le canton : la totalité des capsules à café des machines Nespresso sont par exemple produites chez nous, alors que ce procédé n’existait pas il y a quelques décennies.»
Mais l’introduction récente de droits de douane considérables par les États-Unis (même ramenés de 39% à 15%) laisse planer la menace d’une délocalisation «forcée» pour contourner la mesure, ce qui représente clairement un danger pour le tissu économique vaudois. «Le risque existe, mais on sent bien que les entreprises n’ont pas la volonté de quitter la Suisse à court terme. En revanche, la prudence est de mise pour le moyen terme, car on voit bien que les règles du jeu peuvent être rapidement modifiées unilatéralement. Ces nouvelles taxes représentent un enjeu très important pour notre pays, qui doit composer tant avec l’Union européenne qu’avec les États-Unis, mais on ne voit pas encore des conséquences significatives après ces changements douaniers. Mais c’est à nouveau une pression énorme sur la compétitivité de nos entreprises exportatrices».
L’État à la rescousse des entreprises
Dans ce cadre, que peut faire l’État pour se porter à la rescousse de ses PME, certains pays ayant développé de véritables politiques de soutien à leurs industries? «Plus qu’une politique industrielle, notre stratégie en matière de soutien financier prône un appui ciblé en fonction des besoins spécifiques. On a parlé des RHT sur un plan plus large et du Fonds de soutien à l’industrie pour permettre aux entreprises de poursuivre leurs investissements industriels et technologiques. Mais, en plus de cette mesure, on peut octroyer des aides à l’innovation, la formation, la certification ou les brevets pour permettre à l’entreprise de continuer à investir dans la productivité de son personnel et de son outil de production».
Le pragmatisme au cas par cas, plutôt que le choix de privilégier dans son ensemble un secteur plutôt qu’un autre (avec le risque que l’industrie privilégiée s’écroule, ce qui est arrivé dans certains pays), et qui est l’exact contraire de la philosophie helvétique. «La situation est évidemment compliquée aujourd’hui, mais elle l’est aussi ailleurs. Il faut aussi rappeler que nous comptons sur des implantations ciblées, dans des secteurs très variés à haute valeur ajoutée (sciences de la vie, nutrition, industries de précision, technologies numériques, cleantech, etc.) qui font du canton de Vaud une place économique qui reste très solide, mais qui fait comme ailleurs face aux défis du moment».



