Face à une forte croissance démographique et aux enjeux climatiques, le bon fonctionnement et le développement du système ferroviaire représentent un enjeu crucial. L’État de Vaud a présenté, en janvier dernier, sa stratégie ferroviaire, un document pour penser le futur et anticiper autant que possible les besoins d’un nombre croissant de voyageurs dans les trains. Le défi est de taille. Les infrastructures actuelles, déjà surchargées, ne permettront pas d’absorber cette croissance. « Les questions ferroviaires sont en très grande partie de la compétence de la Confédération. C’est elle qui décide ce que l’on construit et quand, souligne d’emblée Mehdi-Stéphane Prin, délégué cantonal aux affaires ferroviaires. Le « seul » apport du canton est de défendre à Berne les projets qui touchent au réseau vaudois, et donc romand… Et il est plus facile de se battre si l’on dispose d’une vision à long terme, quand on sait clairement où l’on veut aller et comment. »
À la croisée des chemins
Une fois de plus, l’enjeu est d’importance et dépasse les bornes cantonales. Par sa position géographique, le nœud ferroviaire suisse occupe une place stratégique dans le réseau ferré européen. À la croisée des chemins, il assure les connexions vers la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. À l’échelle suisse, les gares de Lausanne et de Renens jouent un rôle identique : elles se trouvent à la confluence des lignes principales desservant la Suisse occidentale – celles du Simplon, du Plateau, du Pied du Jura et la ligne entre Lausanne et Genève – et celles assurant les liaisons internationales vers Milan et Paris via Vallorbe. C’est donc peu dire que l’importance du réseau vaudois va bien au-delà ses frontières cantonales : « Il représente l’un des maillons essentiels du réseau ferroviaire national, souligne Mehdi-Stéphane Prin. Et pour garantir son bon fonctionnement et sa stabilité, les capacités doivent être suffisantes afin d’assurer la circulation de l’ensemble des lignes, toutes distances confondues. »
À l’origine…
Comme l’explique Mehdi-Stéphane Prin, face aux enjeux climatiques, le calcul est simple : « Pour assurer un service efficace et rapide, le confort des passagers et permettre un report massif des automobilistes sur le rail, nous devons doubler, à l’horizon 2050, la capacité du système ferroviaire, tant dans le canton de Vaud qu’au niveau national, tout en maintenant, voire en développant les liaisons internationales. » La dynamique est enclenchée, la fréquentation des trains connaît une hausse annuelle de 10 % : « Les chiffres sont excellents, mais c’est vrai aussi que les infrastructures ferroviaires doivent pouvoir suivre, car, si on laisse les gens sur les quais, cela ne va plus marcher… »
L’exemple du tunnel de Perroy
À partir de ce postulat de base, qui définit clairement le besoin et sa vision à long terme, le Canton de Vaud a pu dessiner sa stratégie et définir les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs. Le Parlement a validé une enveloppe de 2.6 milliards supplémentaires, dont la moitié pour le renforcement de la ligne Lausanne-Genève et le creusement d’un tunnel entre Morges et Perroy. Pour Mehdi-Stéphane Prin, cette décision est emblématique : « À la base, on défendait un bout de troisième voie, mais en analysant les besoins sur le long terme, nous avons établi que le manque de capacité était tel qu’il faudrait en fait quatre voies entre Lausanne et Genève. De même, la question suivante était celle du tracé. Comme le doublement des rails sur la ligne actuelle était complexe, coûtait très cher et occasionnait d’énormes interruptions de trafic, les analyses ont montré qu’il était beaucoup plus judicieux de créer un tout nouveau parcours. Et grâce à cette vision à long terme, nous avons pu défendre auprès de la Confédération le tunnel de Perroy, compatible avec la création d’un nouveau tracé. » Selon une étude exploratoire, cette nouvelle ligne (datant de la fin du 19e siècle, la vitesse commerciale de la ligne actuelle est limitée à 90 km/h) devrait longer en grande partie l’autoroute, pour permettre une
vitesse commerciale de 200 km/h. Elle servira aux trains rapides, le fret et au trafic international, dont, peut-être, une future ligne Lausanne-Lyon.
Concernant la ligne du pied du Jura, il est également question de doubler le nombre de trains qui circulent entre Yverdon et Lausanne, et vers Genève, en construisant des « bouts » de troisième, voire de quatrième voie entre Yverdon et Bussigny.
Tracé direct entre Lausanne et Romont
L’un des grands enjeux dont les retombées dépassent largement la seule Suisse romande est le temps de parcours entre Lausanne et Berne, qui est actuellement de 66 minutes : « Nous risquons d’être déconnectés du système alémanique où les cadences s’accélèrent, alors que du côté romand, la durée du trajet continue d’augmenter malgré des promesses répétées… Il est donc indispensable de le ramener à moins d’une heure afin de rester en phase avec le reste du pays et son poumon économique. Sans cela, la ligne directe entre Genève et Saint-Gall ne sera plus possible, et il faudra changer de train à Berne… Comme l’a dit notre cheffe de Département, Nuria Gorrite, il en va de la cohésion nationale. »
Pour pallier ce risque, la Canton de Vaud préconise la réalisation d’un tunnel peu profond, entre Lausanne et Romont, qui passerait sous le Jorat et à proximité de Moudon : « Le temps de trajet serait ramené à 45 minutes. D’une pierre deux coups, cela permettrait également aux habitants de la Broye de rejoindre plus rapidement la capitale vaudoise. »
Tunnel sous Lavaux
L’amélioration de la capacité de transport et du temps de parcours sur la ligne du Simplon, l’un des axes les plus surchargés de Suisse, est également nécessaire. Comme le détaille Mehdi-Stéphane Prin, cela peut se faire par le développement d’un service régional entre les différentes villes, mais également par une augmentation de la vitesse des trains entre Lausanne et Villeneuve « La ligne traversant des paysages magnifiques, et comme il est simplement inconcevable de couler ne serait-ce qu’une once de béton sur les vignes, l’idée est de construire un tunnel sous Lavaux, entre Lausanne et l’entrée de Vevey, pour doubler la capacité de la ligne actuelle. »
Gare souterraine à Lausanne
Inévitablement, la gare de Lausanne doit se préparer à de gros changements, alors que les travaux d’extension n’ont pas encore démarré. Non seulement elle doit être mise à niveau, mais elle devra même être agrandie dans un avenir relativement proche. « Les travaux prévus actuellement ne prévoient pas la moindre augmentation de la capacité ferroviaire de la gare de Lausanne. Si on allonge les quais, si on les élargit, si on crée de nouveaux passages sous-voies, c’est pour permettre qu’il y ait plus de voyageurs. En revanche, il n’y aura pas un train en plus, simplement parce qu’il n’y aura pas une voie en plus ; au contraire, il y en aura même une en moins. C’est pourquoi, et au vu de la densité de son environnement urbain, la construction d’une gare souterraine est inévitable pour accueillir quatre nouvelles voies et de nouveaux quais sans lesquels la gare serait totalement saturée », résume le délégué aux affaires ferroviaires.
Au cœur du réseau international
L’urgence climatique ayant remis les trajets à « très longue distance » au goût du jour, ils sont vus désormais comme une possible alternative au transport aérien. Pour cette raison, la stratégie ferroviaire vaudoise ne fait pas l’économie de sa dimension internationale. Comme le résume Mehdi-Stéphane Prin, la gare de Lausanne peut et doit offrir des relations directes vers Paris, Lyon et Milan. Et donner ainsi accès à l’ensemble des pays du sud et de l’ouest de l’Europe, Bâle et Zurich étant les portes d’entrée vers le nord et l’est.
Mais il est vrai que les trains internationaux souffrent aujourd’hui de l’encombrement existant sur les lignes romandes: « Et même si le Canton n’a aucune compétence en la matière, nous nous sommes néanmoins interrogés sur ce que nous pouvions faire, en marge de notre stratégie ferroviaire, pour améliorer, voire développer le trafic international. De manière pragmatique, nous nous sommes également interrogés sur ce qui était prioritaire, où nous pouvions exercer une réelle influence et avions des chances d’obtenir un résultat. La question étant : qu’est-ce qui nous manque pour que les Vaudois puissent aller dans toute l’Europe en train? »
Lyon, vers les lignes du soleil
Parmi les priorités, il apparaît évident que les trains en direction de Milan – d’où ils peuvent rayonner ensuite sur toute l’Italie, voire les Balkans et la Grèce – doivent faire l’objet d’une attention toute particulière. « Aujourd’hui, il n’y en a pas assez, et ils vont toujours moins vite. Dans un monde idéal, il en faudrait un toutes les heures, mais toutes les deux heures serait déjà plus réaliste », avance Mehdi-Stéphane Prin.
Une autre destination fait de l’œil aux Vaudois : Lyon-Perrache. Depuis cette gare, toutes les demi-heures, des trains à grande vitesse partent dans toutes les directions. Une destination idéale ! Seul problème, son accès est laborieux depuis Lausanne. « C’est pourquoi nous estimons qu’il faut désormais mettre l’accent sur le développement d’une liaison performante et rapide, sans changement à Genève, si possible toutes les deux heures. Par le jeu des correspondances, les voyageurs auraient ensuite accès au sud de la France, à l’Espagne et au
Portugal. »
Parmi les trains internationaux dans le viseur, il y a bien sûr Paris – « qu’il faut préserver en maintenant, voire en développant le TGV Lyria » – et l’accès au nord de l’Europe qui passe par la gare de Bâle. « Mais nous devons rester modestes parce qu’en tant que Canton, nous ne disposons que de peu de leviers, et nous jouons avant tout un rôle de facilitateur. Sauf sur le projet de ligne directe vers Lyon : la proximité peut favoriser notre travail de sensibilisation », résume Mehdi-Stéphane Prin.
Le prix du rail
La stratégie ferroviaire élaborée par le Canton de Vaud, dont les différents développements sont indispensables à l’évolution du nœud ferroviaire romand, représente une enveloppe financière estimée à plus de 20 milliards de francs, étalés sur plusieurs décennies, « dont plus de 80 % correspondent à la réalisation de projets liés au système ferroviaire national, précise Mehdi-Stéphane Prin. Les mesures destinées uniquement à l’offre régionale représentent quant à elles un investissement d’environ 4 milliards de francs. »
Pour répondre à la question du calendrier, tout dépendra de la volonté de la Confédération ou du Parlement de mettre les moyens nécessaires au développement de son infrastructure ferroviaire. « Ce jour-là, nous serons prêts, grâce à notre stratégie ferroviaire, à défendre et développer nos arguments ! »