Espaces partagés ? De quoi s’agit-il ? Le tout premier exemple dans le canton de Vaud, qui est probablement aussi le plus emblématique, a été la requalification du tronçon routier qui se situe devant l’École polytechnique fédérale où, grâce au réaménagement de l’espace, les voitures, les bus, les piétons et les cyclistes cohabitent désormais en toute sécurité. « Il faut dire que la RC1 (connue aussi sous l’appellation de route du Lac) relie les deux pôles de l’agglomération Lausanne-Morges, une région qui connaît une forte urbanisation et doit donc répondre à des besoins en mobilité croissants, tous modes de déplacement confondus », contextualise Sébastien Domon.
Un espace suffisant pour chacun
Le principe premier de l’espace partagé est de faciliter le transit des transports publics, en les faisant circuler autant que possible sur une voie dédiée, et en leur donnant la priorité dans les giratoires par rapport aux voitures dans les voies de rabattement. Et, partout où cela est possible, d’aménager des pistes cyclables, combinées parfois avec le trafic piétonnier. « Tout l’enjeu est de créer un espace suffisant pour chacun, précise Sébastien Domon. Mais il faut aussi être conscient que nous évoluons dans des environnements très construits et donc contraints. La place y est rare et chère. Parfois, nous devons négocier avec des riverains, ce qui n’est pas forcément toujours facile… »
Si la première étape de cette requalification – entamée devant le campus – a été inaugurée en 2013, c’est désormais la troisième étape, à la hauteur de la Venoge, qui a été inaugurée en 2023. « La quatrième démarre au-delà de la Venoge et rejoindra Morges (travaux 2027), alors que nous venons de mettre à l’enquête une cinquième, qui va démarrer en 2025 et qui nous mènera à l’entrée de Saint-Prex, se réjouit Sébastien Domon. Cela dit, nous adaptons notre manière de faire au gré des expériences et des analyses que nous en tirons. »
Faire évoluer les standards
En l’occurrence, la DGMR a constaté que les aménagements cyclables n’étaient pas adaptés à tous. Entre les personnes aguerries, rapides, qui traversent les giratoires avec aisance, et celles qui roulent durant leurs loisirs seulement, ou encore celles qui utilisent un vélo électrique, les vitesses ne sont pas les mêmes et les dépassements fréquents. « Plus les gens utilisent ces infrastructures, plus nous nous rendons compte – et grâce aussi aux discussions avec les associations d’usagers – de la nécessité de mettre à jour les standards en créant des espaces dédiés qui peuvent être empruntés en toute sécurité. Et, très clairement, dans la mesure du possible, il faut séparer les cyclistes et les piétons du flux routier, surtout lorsque le trafic est intense. »
Aiguiser les bons réflexes
Du côté des automobilistes, l’habitude de partager l’espace routier semble être prise, même si le réflexe de céder la priorité aux bus pourrait encore s’affiner.
« Les automobilistes l’acceptent d’autant mieux que les cycles ne sont plus sur la route. Il est aussi intéressant de constater que lorsque nous avons ultérieurement limité la vitesse à 60 km/h sur certains tronçons, les automobilistes l’avaient déjà intégré en grande partie grâce aux aménagements routiers qui les avaient naturellement amenés à baisser leur vitesse. »
Et les piétons qu’on a parfois tendance à oublier au détriment des cyclistes ? « C’est un point d’attention, je ne vous le cache pas. Par exemple, sur les pistes mixtes, lorsqu’ il y a un accès ou un arrêt de bus, il faut rester vigilant, surtout à la mise en service de l’infrastructure. Il faut s’assurer que la visibilité des uns et des autres est aussi bonne que possible. Mais globalement les choses se passent très bien », se félicite Sébastien Domon.
Cohabiter avec 20’000 véhicules
Autre exemple de l’espace routier partagé entre tous les différents modes de mobilités, la route de Berne (RC 601) qui est le principal axe stratégique reliant la Broye à l’agglomération lausannoise.
On peut dénombrer certains jours 20’000 véhicules circulant sur les quatre kilomètres séparant les Croisettes du Chalet-à-Gobet. Comme au bord du lac, le défi a été de revoir la répartition de l’espace pour permettre aux piétons, aux cyclistes, aux voitures, aux motos, aux camions et aux transports publics de se déplacer en toute sécurité et de manière aussi fluide que possible. Concrètement, ce ne sont pas moins de 1,8 km de pistes mixtes et 2,2 km de bandes cyclables ou voies mixtes bus-vélo qui ont été créées sur ce tronçon. Quant aux transports publics, ils bénéficient dorénavant d’une voie dédiée sur certaines portions de la route, qui augmente leurs performances et leur permet de respecter les horaires, même aux heures de pointe.
« Une évidente nécessité »
Au-delà de ces deux exemples emblématiques, les espaces partagés tracent leur chemin, se multipliant dans le canton, comme le plat du Dézaley, achevé l’an dernier, ou encore, toujours sur la RC 1, le tronçon entre Mies et Founex. Au total, ce ne sont pas moins de 20 kilomètres de routes cantonales qui ont été ainsi requalifiés ces dix dernières années.
On peut encore citer un projet qui vient de débuter entre Echallens et Goumoëns. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’une requalification, mais d’une réhabilitation de la chaussée permettant la création d’une piste cyclable de 2,5 m de largeur sur un « itinéraire structurant » qui mène à la gare du LEB, à Echallens.
« En général, on traite une infrastructure existante pour la rendre compatible avec un mode multimodal. Malgré tout, le principal problème auquel nous sommes confrontés est l’espace à disposition. Ce qui rend difficile l’avancement de tels projets, même s’ils répondent à une évidente nécessité. Pour motiver les gens à laisser leur voiture au garage, nous devons renforcer l’attractivité des transports publics et le sentiment de sécurité sur les pistes cyclables. »