Permettre aux agriculteurs de connaître avec précision l’empreinte carbone totale de leur domaine agricole et faire en sorte de la réduire en les mettant autour d’une table avec des industriels et des écologistes : telle est la mission d’AgroImpact. Créée en décembre 2023, cette association représente une alliance unique dans le milieu agricole.
C’est le vote du Plan climat vaudois qui a donné l’impulsion à la naissance d’AgroImpact. Aude Jarabo, sa directrice, raconte: «Prométerre devait discuter avec le Canton afin d’élaborer le volet agricole de ce plan et on m’a proposé un poste. Comme le climat définit l’efficience du système de production en général, il appelle beaucoup de problématiques et de nombreuses solutions à construire, ça m’a intéressée.»
En parallèle aux discussions avec la Direction générale de l’agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires (DGAV) pour concrétiser le plan vaudois, Aude Jarabo endosse tout d’abord le costume de déléguée climat chez Prométerre. «Il ne suffit pas de constater que la sécheresse est de plus en plus présente, il faut réussir à transformer les habitudes pour s’adapter à cette nouvelle normalité.»
Vulgariser les études
Pour parvenir à cette transformation, l’ingénieure agronome se plonge dans les études et rapports climatiques, et en devient une sorte de traductrice. «Leur lecture n’est pas simple, explique-t-elle. Il faut appréhender et surtout vulgariser tout ça pour le présenter aux agriculteurs.» Transposer les conclusions des scientifiques en réalité du terrain, faire le lien entre la recherche et la terre, telle est la mission d’Aude Jarabo chez Prométerre durant trois ans, au service de l’agriculture et de ses défis.
En ligne de mire, une question : comment faire pour maintenir une production de denrées alimentaires dans le contexte de 2050. «On lit parfois que la Suisse ressemblera au sud de la France, que l’on va se mettre à cultiver des oliviers, mais ce n’est pas le cas, affirme-t-elle. En revanche, on connaîtra des épisodes de pluie plus intenses et des phases de sécheresse plus longues. Il faut donc trouver comment s’adaptera l’agriculture.»
Pour illustrer ses propos, l’habitante du village d’Apples, au Pied du Jura, utilise une des céréales les plus produites au monde : le maïs. «Lorsque l’on fait de l’élevage, on a besoin de fourrage et c’est l’une des difficultés avec la sécheresse: on n’arrive pas à en récolter assez, explique l’agronome. Notre système fonctionne essentiellement sur la culture du maïs, qui nécessite beaucoup d’eau. On pourrait le remplacer avec de la luzerne, une légumineuse, ou du sorgo, une plante d’origine africaine qui ne demandent pas de grandes quantités d’eau pour fournir suffisamment de fourrage.»
Autour de la table
De son expérience chez Prométerre, Aude Jarabo retire un constat. «Aujourd’hui, on a des agriculteurs prêts à faire les efforts, mais on a aussi besoin des gens qui achètent le fruit de ce labeur», appuie-t-elle. C’est de ce constat qu’est née l’idée de l’association AgroImpact. «Mon travail, c’est de développer des filières, des partenariats. L’agriculture ne peut pas changer seule. Il faut une chaîne de valeur qui suive.»
Pour celle qui a travaillé plus de cinq ans au ministère de l’Agriculture en France, il s’agit désormais de réunir toute la filière autour de la table et de dialoguer avec tous, notamment les industriels. «Mon but, c’est que les bonnes personnes aient les infos justes, schématise-t-elle. Il faut expliquer aux distributeurs que le pois chiche ne pousse pas et ne poussera jamais ici. Beaucoup veulent favoriser le local, mais ne savent pas vraiment comment s’y prendre et ce qu’il est possible de faire.»
À l’inverse, les distributeurs ont des contraintes bien spécifiques qui ne collent pas toujours aux enjeux agricoles. «Vouloir des frites impeccables, de la même taille, cela implique de sélectionner uniquement les plus belles patates, raconte Aude Jarabo. Ce qui, évidemment, n’est pas compatible avec ce que donne la nature.»
C’est là que son travail de «diplomate de la terre » prend tout son sens, s’attelant à réunir tous les représentants de la chaîne alimentaire dans le but de trouver les meilleures alliances. «Il n’y a pas une personne qui détient LA solution. C’est au contraire de l’intelligence collective et c’est ce que j’aime.»
Le plus petit dénominateur commun
Forcément, le dialogue n’est pas toujours aisé. «Il y a évidemment des sujets sur lesquels le WWF et Nestlé ne pourront jamais se mettre d’accord, reconnaît la directrice d’AgroImpact. Mais on recherche le plus petit dénominateur commun qui peut mener à un accord, aussi minime soit-il.»
Pas question de laisser qui que ce soit sur le côté, même les entreprises à qui l’on reproche souvent de réaliser ses marges sur le dos des agriculteurs. «On a besoin d’eux, affirme Aude Jarabo. La transition climatique va devoir se faire et elle va coûter cher. Il faut mutualiser les financements, et pour ça, on doit œuvrer avec ceux qui ont l’argent. » Et l’ingénieure agronome de formation de conclure: «D’ailleurs, 80% des produits agricoles sont achetés par deux grands distributeurs. Donc il n’y a pas de miracle.»