Définir une politique agricole, pour un canton, n’est pas chose aisée tant le domaine est vaste. «Une des missions de l’État est d’adapter et de préparer l’agriculture aux multiples défis qui se posent à elle, et ce de façon de plus en plus rapide», expliquent Pascal Hottinger et Frédéric Brand, depuis leur quartier général de Marcelin, au-dessus de Morges.
Le premier est directeur général d’une entité qui regroupe trois directions (l’agriculture et la viticulture, les écoles d’agriculture et l’intendance [Agrilogie] ainsi que les affaires vétérinaires du Canton). Le second occupe le poste directeur de l’agriculture, de la viticulture et des améliorations foncières. Leur rôle est de s’intégrer dans le cadre de la politique fédérale, qui trace les grandes lignes, ce qui n’empêche pas de fixer des objectifs concrets à l’échelle du canton. «Ce qui nous occupe le plus aujourd’hui, ce sont les sols», annonce d’emblée Frédéric Brand. «Trop longtemps, nos efforts se sont concentrés sur ce qui se passait au-dessus, alors qu’il faut le cerner de l’intérieur aujourd’hui et en prendre grand soin via de bonnes mesures.»
Avec le climat qui change et les enjeux planétaires sur le sujet, la protection des eaux, notamment au travers de la diminution de l’usage des produits phytosanitaires, est un autre élément principal, de même que la volonté de favoriser le recours aux produits locaux et de saison dans la restauration collective publique et parapublique. «Il faut encore y ajouter les bovins, car ces animaux sont essentiels, alors que les exploitations diminuent», précise Pascal Hottinger.
La qualité plus que la quantité
De la recherche, un centre d’essais, la simplification des tâches administratives sont autant d’autres mesures importantes qui se comptent par dizaines sur le bureau des deux responsables, même si ceux-ci martèlent en priorité les trois mots clés : sols, eau, bovins. «La qualité du sol est essentielle pour l’avenir, mais elle va de pair avec la bonne santé des vaches. Il y a des indices qui prouvent que les champs « nourris» par la fumure – l’herbe broutée et rejetée – font monter les blés de manière optimale. Les observations du terrain témoignent qu’un sol régulièrement travaillé avec des bovins contribue à un bon taux d’humus et à une fertilité qui peut se refléter dans les nutriments, comme le taux protéique par exemple. La capture d’eau et de CO2 est également améliorée, ce qui montre bien l’importance de s’occuper de nos sols en adoptant les bons réflexes et en réexpliquant le rôle des bovins aux consommateurs», résume Pascal Hottinger.
Ce défi passionnant – conserver un cheptel suffisant et décentralisé de bovins sur un territoire – poursuit un enjeu de taille. «C’est aussi pour cela que nous soutenons les ruraux à vaches et les fromageries coopératives. Car l’alternative aux fumiers et lisiers, ce sont principalement les engrais azotés produits à partir d’énergie fossile et entièrement importés. On souligne qu’en agriculture biologique, ces engrais azotés minéraux ne sont pas autorisés. On revient donc aux bovins».
Le combat pour l’eau
L’eau a beaucoup fait parler d’elle avant l’été. Mais il n’en tombe plus assez régulièrement. «D’ici à 2035, nous avons le projet d’irriguer 10’000 hectares de plus dans le canton, soit 10% du territoire cultivé», annonce Frédéric Brand. Oui, mais comment? «Nous travaillons avec les stations de pompage de chaque région pour mener à bien des réalisations collectives qui peuvent permettre d’atteindre ces objectifs. L’eau dans les fermes étant un autre volet de la politique de soutien. Les grands toits des domaines doivent permettre de tendre à l’autonomie, mais les investissements sont importants pour les agriculteurs et presque impossibles à reporter sur les prix du marché.»
En filigrane, tous ces efforts ne sont pas consentis uniquement pour la beauté du paysage, comme on l’entend parfois, mais pour une raison très claire : la souveraineté alimentaire. «La question est de savoir jusqu’où on veut importer nos denrées. Le taux d’autoapprovisionnement net du pays se situe à 46%. On parle en effet de 50 à 60% pour garder un peu de marge de manœuvre sur ce que les consommateurs veulent voir dans leur assiette; et surtout, avoir le choix de leur alimentation. Cela passe notamment par le fait de disposer de suffisamment de fourrage en toute saison», confirme Pascal Hottinger.
Enjeu public
L’aménagement du territoire prend ici tout son sens, car le but concret est que 80% de la population puisse disposer d’un point d’alimentation de base à moins de trois kilomètres du domicile. Ce qui implique d’avoir des légumes, des œufs, du pain et du fromage sur les étals. C’est un enjeu public», relèvent en chœur les deux interlocuteurs, qui appellent à un «dialogue serein entre l’agriculture et les consommateurs», tous deux étant bien plus liés qu’ils ne l’imaginent, pour bénéficier sur le long terme d’une nourriture saine et sécurisée, ce qui nécessite stratégie et vigilance de la part des autorités.